Les démolitions s’achèvent à la Samaritaine à la suite du rejet du référé suspension introduit par la SPPEF en juillet 2013. Une notification adressée à la société des magasins de la Samaritaine aurait été reçue par la mairie de Paris, et inversement, sans que le contenu des enveloppes ait pu être prouvé par ces parties. Ce rejet a été fermement sanctionné, le 5 mars 2014, par le Conseil d’État comme « erreur manifeste de droit ». Huit mois ont cependant passé et la situation actuelle est terrible pour le patrimoine : trois immeuble d’alignement pré-haussmanniens ont été démolis rue de Rivoli, d’autres dans les rues adjacentes et notamment une belle façade remontant à 1725. Le bâtiment que l’on prévoit de leur substituer pose désormais un grave problème d’intégration au tissu urbain existant. Il faut, finalement, remonter aux années 60-70 pour trouver trace de démolitions et de projets architecturaux équivalents à Paris (notamment dans le quartier des halles).
Depuis, les documents d’urbanisme ont heureusement évolué pour prémunir la capitale de telles blessures, restées vives cinquante ans plus tard. Le plan local d’urbanisme (PLU) de Paris prévoit, tout d’abord, en effet, dans sa version aujourd’hui en vigueur, des dispositions protégeant les « ensembles architecturaux homogènes », au delà des seules « architectures ordonnancées » (art. UG.11.1.2 du PLU). Il n’est pas exclu que les quatre immeubles de la rue de Rivoli, de même hauteur, construits simultanément en 1852, et qui diffèrent essentiellement par leurs ornements, appartenaient à cette catégorie. Il faut cependant prendre acte de leur démolition quasi-totale, permise par l’artifice procédural que nous avons relaté, et s’interroger sur la construction à venir.
Le règlement du PLU de Paris prévoit, en la matière, des dispositions claires et équilibrées auxquelles la SPPEF souscrit sans hésitation. A leur lecture, lors de l’audience du tribunal administratif du 4 avril 2014, le rapporteur public a admis être hésitant. Nous en livrons ici la teneur, afin que chacun puisse se faire une opinion, avant d’en donner un bref commentaire. Il s’agit de dispositions capitales du PLU du Paris en ce qu’elles garantissent son renouvellement harmonieux : « Zone urbaine générale (UG)[...] Art. UG.11.1.3. - Constructions nouvelles : Les constructions nouvelles doivent s’intégrer au tissu existant, en prenant en compte les particularités morphologiques et typologiques des quartiers (rythmes verticaux, largeurs des parcelles en façade sur voies, reliefs…) ainsi que celles des façades existantes (rythmes, échelles, ornementations, matériaux, couleurs…) et des couvertures (toitures, terrasses, retraits…). L’objectif recherché ci-dessus ne doit pas pour autant aboutir à un mimétisme architectural pouvant être qualifié esthétiquement de pastiche. Ainsi l’architecture contemporaine peut prendre place dans l’histoire de l’architecture parisienne. Les bâtiments sur rue se présentent en général sous la forme de différents registres (soubassement, façade, couronnement), qui participent à leur composition architecturale, en particulier en bordure des voies et des espaces publics. Les traitements architecturaux contemporains peuvent ne pas traduire le marquage de ces registres, qui peuvent toutefois être imposés dans certaines configurations. […] » En prévoyant que les « constructions nouvelles doivent s’intégrer au tissu existant », le plan local d’urbanisme prohibe clairement les bâtiments « en rupture », mais s’oppose également expressément à tout « pastiche », dispositions dans lesquelles la SPPEF se retrouve entièrement. Les constructions contemporaines doivent ainsi prolonger des éléments du vocabulaire architectural existant afin de préserver l’homogénéité parisienne, sa marque parmi les capitales mondiales. Or, le bâtiment à édifier apparait à l’évidence comme un bâtiment conçu totalement « en rupture », si l’on analyse les éléments énumérés par l’article UG.11.1.3 du règlement. La « largeur des parcelles en façade sur voies » n’est tout d’abord pas respectée, puisqu’un seul et même bâtiment succède aux quatre façades de la rue de Rivoli ; les « registres » horizontaux « (soubassement, façade, couronnement) ne sont pas plus marqués (même si le PLU est moins strict sur ce point) ; l’« échelle » des bâtiments se trouve également modifiée en raison de la hauteur et de la massivité de celui projeté ; les « matériaux et couleurs », ici un verre sérigraphié blanc, sont eux aussi incontestablement en rupture avec leur environnement ; l’« ornementation », ou plutôt son absence totale, ne l’est pas moins, tandis que la « couverture », ici une terrasse enherbée, rompt avec les toitures mansardées uniformément grises des alentours…
Reste l’argument, répété à l’envie, que le mur rideau « réinterprète[rait], avec son mouvement ondulatoire, le rythme vertical [terme même employé par le PLU] des façades parisiennes ». La gêne du rapporteur public, devant s’appuyer sur ce maigre élément, était perceptible : ainsi, selon lui, les ondulations « tentent de reproduire le rythme des façades ». Dernier argument de bonne intégration du nouveau bâtiment : sa façade en verre « réfléchir[ait] allégoriquement la pierre haussmannienne des immeubles alentour ». Il est inutile d’insister sur sa faiblesse, car tout bâtiment construit en verre - élément de rupture s’il en est - satisferait alors aux prévisions du PLU. Ne s’agit-t-il pas ici de se payer de mots ?
Le rapporteur public expliqua finalement que l’article UG.11.1.3 du règlement serait « d’une écriture plus littéraire que juridique », comme le montrerait l’emploi de « nombreux points de suspension ». Or, la rédaction du texte est parfaitement satisfaisante, une précision toute mathématique serait en la matière inappropriée, tandis que les points de suspension revoient, à l’évidence, comme le texte le recommande, à une appréciation in concreto des caractéristiques du quartier auquel le bâtiment nouveau devra s’intégrer. En réalité, une « rupture » architecturale est bien recherchée rue de Rivoli, dans un but commercial, puisque le président de la Samaritaine dit souhaiter un « geste architectural extrêmement fort […], sorte de repère dans la rue de Rivoli pour les futurs clients ». Elle illustre, en outre, malheureusement, la politique urbaine de l’actuelle municipalité parisienne, celle des objets extraordinaires et égoïstes, vision de Paris à laquelle la SPPEF s’est déjà fermement opposée. La pauvreté architecturale du projet doit également être soulignée : des plateaux et un mur rideau. L’agence Sanaa, pourtant lauréate du Pritzker prize, n’est certainement pas ici à son meilleur. Finalement, on ne voit pas, si l’immense bâtiment prévu pour la nouvelle Samaritaine devait être jugé conforme aux prescriptions du PLU, quel bâtiment pourrait ne pas l’être. Ce texte précieux deviendrait lettre morte. C’est pourquoi la SPPEF, sans esprit partisan, se battra pour éviter à Paris une « jurisprudence Samaritaine ». Julien Lacaze, vice-président de la SPPEF
Paris, le 29 avril 2014