Pour la quatrième année depuis sa création, le jury du prix du Second œuvre s’est réuni au mois de juin 2019. L’objectif de ce concours est d’encourager ceux qui, sensibilisés à la protection du patrimoine bâti ancien, s’efforcent de sauvegarder ou restaurer des éléments de second œuvre participant au caractère de bâtiments de toutes époques.
Les ouvrages de second œuvre sont en effet les plus visibles, puisqu’ils constituent l’épiderme des murs intérieurs et extérieurs, des sols, des plafonds de tous les édifices. À cela se rattachent les éléments rapportés : boiseries, accessoires d’aménagement, voire pour les plus récents, les équipements mécaniques tels que les ascenseurs ou, pour les plus anciens, les machineries de toutes sortes telles que celles des moulins.
Ils sont aussi les plus menacés, leur transformation ou leur suppression n’affectant pas (par définition) le gros œuvre et par conséquent la stabilité d’un édifice. De plus, leur fragilité relative nécessite un entretien qui s’avère trop souvent destructeur parce que mal conduit, menacé par la banalisation des produits « prêts à l’emploi ».
Plusieurs dossiers présentaient cette année des projets particulièrement remarquables qui n’ont pu être retenus, les travaux n’étant pas encore réalisés. Il est important de préciser que ce concours attribue des prix et non des subventions : Sites & Monuments ne peut donc prendre en compte que des travaux achevés, évalués sur la qualité de leur exécution et sur le respect de l’authenticité du sujet. Le jury n’a pu déroger à la règle mais a exprimé son souhait de pouvoir un jour récompenser certains de ces projets, une fois achevés les travaux prévus.
Un seul prix a été attribué cette année. Le dossier lauréat a été présenté par l’Association des Amis de l’église Saint-Jean-Baptiste du Plessis-Dorin (Loir-et-Cher) pour la restauration des peintures murales et parements intérieurs de l’église.
En pierre de grison, de roussard et de silex, l’église date du XIIe siècle. Elle a été restaurée au XVIe siècle. L’ensemble du clocher est en charpente ; la partie intérieure à l’église est dissimulée par une tribune. La partie extérieure comporte une base en tronc de pyramide surmontée d’une flèche octogonale. La façade occidentale est précédée d’un des derniers porches caquetoires [1] de la région, restauré en 1888. Il masque une fenêtre romane. Ce porche ouvre sur un portail en plein cintre à deux voussures. Le mur nord de la nef a été repris au XVIe, sans fenêtres mais avec une « porte des morts » ouvrant sur le cimetière qui entourait l’église.
La nef est ornée d’un ensemble de figures monumentales de saintes et de saints, dans des niches simulées intégrées à un décor de pierre de taille, réalisées dans le premier quart du XIXe par Zacharie Roger-Duval (Nogent-le-Rotrou 1789 – La Bazoche Gouet 1839). Elles représentent six saints et six saintes en pied, d’une hauteur de deux mètres chacune : sainte Apolline, patronne des dentistes, invoquée pour les maux de dents des enfants et sainte Emérence, pour protéger les enfants de la peur ; sainte Geneviève ; sainte Hélène ; sainte Cécile et sainte Adélaïde. Dans le chœur, se trouvent les saints apôtres Pierre et Paul, ainsi que trois évangélistes et saint Eutrope.
De manière générale, les peintures étaient en très mauvais état de conservation, avec des soulèvements de couche picturale et de nombreux écaillages. De nombreuses lacunes indiquaient un défaut d’adhérence entre la préparation et la couche picturale. Trois peintures (sainte Cécile, sainte Adélaïde et saint Matthieu) avaient subi des pertes de matière très importantes, en particulier saint Matthieu, lacunaire sur un tiers. Certains pigments présentaient un état de pulvérulence (bleu, certaines terres) et des craquelures étaient visibles sur l’ensemble des peintures. Le vernis oxydé et chanci gênait l’appréciation de ces peintures : de nombreux détails étaient peu visibles, comme certains plis des vêtements et les effets d’ombre et de lumière. Enfin, des repeints masquaient notamment les traits des visages et des mains.
Le jury a particulièrement apprécié la rigueur scientifique et la qualité du travail de restauration de ces compositions en trompe-l’œil, réalisé sous la responsabilité d’Aurélie Terral Dréano, mandataire du chantier. La restauration a été effectuée en plusieurs étapes :
– Refixage de la couche peinte de chaque peinture sur l’ensemble de la surface et consolidation du support sur les zones instables.
– Nettoyage (décrassage et dévernissage), qui a permis de mettre au jour les visages d’origine, de mettre en valeur les teintes vives des vêtements et le travail des ombres des personnages dans les fonds.
– Consolidation de la couche peinte et comblement des lacunes les plus importantes avec un mastic à base de chaux et de poudre de marbre. Sur les manques très importants d’enduit (sainte Cécile, sainte Adélaïde, saint Matthieu et Saint Marc), des solins [2] et des enduits ont été posés. Un badigeon de chaux teinté avec de l’ocre jaune a été appliqué sur les mastics afin d’être proche de l’enduit de préparation d’origine et faciliter la réintégration picturale.
– Enfin, réintégration picturale, avec réalisation d’un trateggio [3], afin d’harmoniser les repeints qui n’avaient pu être retirés avec la couche picturale d’origine.
Le jury a souhaité attribuer des diplômes d’honneur à deux candidats, non pour un projet en particulier mais pour leur action et leur engagement en faveur du patrimoine.
Âgé de 24 ans, issu du marché de l’art, il a occupé la responsabilité de Maître d’ouvrage délégué pour un chantier difficile en Dordogne, dans une belle demeure des XVIIe et XVIIIe siècles, en très mauvais état. Il a fait preuve d’un intérêt passionné et d’un engagement constant, au-delà de sa mission, pour préserver ou restaurer autant que possible des éléments d’origine de second œuvre, malgré un pouvoir de décision limité. Il a ainsi inventorié, dans un esprit de sauvegarde, l’intégralité des papiers peints retrouvés dans la demeure (environ quatre-vingts, sur deux siècles). Il a également su imposer, grâce à sa persévérance, le recours aux techniques traditionnelles, en particulier pour les menuiseries et la maçonnerie.
Un aspect important a été très bien traité dans ce chantier : la confection des mortiers. Cette technique ne concerne certes que la maçonnerie mais elle est essentielle pour le gros oeuvre et primordiale pour les enduits de second œuvre. L’invention des ciments, au XIXe siècle, a progressivement fait disparaitre l’emploi de la chaux, matériau constitutif des mortiers depuis la plus haute antiquité. Il est donc indispensable d’insister sur les incompatibilités entre les différents produits qu’offre aujourd’hui le marché et d’imposer le réemploi de la chaux pour la restauration des constructions de mode traditionnel, comme cela a été fait sur ce chantier. La chaux est essentielle, en particulier pour les enduits, en opposition à la mauvaise pratique de la « pierre apparente ».
De façon plus générale, cette opération a été un « chantier école » sur un véritable édifice : pour Romain Delage, qui n’avait jamais abordé les principes de l’architecture, comme pour les jeunes, employés dans les entreprises du chantier, qui ont participé à cette action formatrice : des jeunes de toutes origines professionnelles, ouvriers du bâtiment de plusieurs disciplines et étudiants en architecture, surpris de découvrir « ce que l’on ne leur apprenait pas à l’école ».
Guide-interprète à Bordeaux depuis 40 ans, dont les actions pour la conservation d’éléments de second œuvre, en particulier pour des menuiseries extérieures, sont soutenues par de bonnes connaissances architecturales et techniques. C’est une tâche difficile de convaincre les propriétaires de l’utilité de sauver ces témoins d’un savoir-faire manuel et technique, aujourd’hui en forte régression, alors que l’incitation à l’isolation thermique (pour légitime qu’elle soit) est une des causes de leur disparition. Il faut à la fois être archéologue du bâti et technicien averti pour proposer des solutions qui améliorent le confort sans faire disparaitre les traces de l’histoire. Il n’existe pas de recettes générales. Chaque cas est une étude nouvelle. Il est bien d’intervenir mais il est indispensable de prévenir, en assurant une veille constante sur les projets de transformation. C’est ce que fait Yves Simone depuis plus de dix ans : outre son activité de guide-interprète, il alerte et sensibilise sans relâche, via les médias de sa région (presse et télévision), le public le plus large possible à la sauvegarde du patrimoine bordelais.
Imprimer l’article de la revue Sites & Monuments n° 226-2019