Quelle rénovation pour le palais ducal – musée lorrain de Nancy ?

Le bâtiment de gauche est l’ancienne gendarmerie/école en instance d’inscription MH

Situé au cœur de la vieille ville de Nancy, le palais ducal – musée lorrain est l’un des principaux joyaux du patrimoine lorrain. Bordé par la grande rue et à proximité immédiate de la place Stanislas, cet ensemble formé de l’ancienne demeure des ducs de Lorraine (entre le XVIe et le XVIIe siècle) et de l’ancien couvent des Cordeliers a été ouvert au public en 1850 avec la création d’un musée dédié à l’histoire de la Lorraine.

Devenu l’un des grands musées d’art et d’histoire de France, il abrite plus de 150 000 pièces issues des commandes ducales, d’importants legs et dépôts mais aussi d’une remarquable politique de fouilles, acquisitions et souscriptions menée notamment par Charles Cournault (conservateur entre 1861 et 1890) et l’abbé Jacques Choux (conservateur entre 1952 et 1984) et poursuivie jusqu’à nos jours.

Parmi les trésors du musée, outre les chefs d’œuvre des artistes lorrains tels Georges de la Tour, Jacques Callot ou Ligier Richier, se trouve une collection unique où se côtoient antiquités, objets religieux, pièces d’orfèvrerie, tapisseries, armes et armures, faïences et meubles régionaux évoquant notamment l’histoire des ducs et duchesses de Lorraine et la vie quotidienne des Lorrains de l’Antiquité à nos jours.

Le palais ducal – musée lorrain se compose d’un vaste ensemble constitué de l’ancien couvent des Cordeliers, abritant depuis 1981 la section des arts et traditions populaires, l’église des Cordeliers, plus vieille église de Nancy, abritant la chapelle funéraire de la maison de Lorraine – seule partie du site restée ouverte au public depuis la fermeture de 2018 - et de l’ancien palais ducal. Ce dernier est constitué par la remarquable aile Renaissance (construite au début du XVIe siècle) dont la monumentale Porterie et la tour de l’Horloge comprenant un escalier à vis desservant la grande Galerie dite « des Cerfs », ancienne salle d’apparat du palais. Dans le prolongement, l’aile XVIIIe, complètement remaniée au XIXe siècle par les architectes Morey et Boeswillwald suite à l’incendie de 1871. Enfin, les bâtiments dits « de fond de cour » : une écurie du XVIIIe siècle, œuvre de l’architecte Charles-Louis de Montluisant et une ancienne gendarmerie (qui servit un temps d’école) construite au XIXe siècle - les deux bâtiments s’adossant sur le mur dit « de Baligand », ingénieur du roi, datant du milieu du XVIIIe siècle. Entre les bâtiments du palais ducal et ceux de fond de cour – classés au titre des monuments historiques depuis 2005- se trouve un jardin lapidaire.

En 2000, un projet de réaménagement du musée a été initié par la municipalité, propriétaire du site. S’il a tout d’abord permis une heureuse restauration des toitures et façades de l’aile septentrionale, réalisée entre 2005 et 2012, ce projet a ensuite conduit à l’actuelle situation d’enlisement que nous dénonçons : fermeture du musée depuis mai 2018, soit plus de cinq ans, sans perspective de réouverture prochaine à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Les objectifs initiaux de la rénovation, consistaient principalement en une meilleure accessibilité, notamment pour les personnes à mobilité réduite, la création d’un amphithéâtre, principalement demandé par la Société d’Histoire de la Lorraine et du Musée lorrain. [1] Surtout - c’est sur ce point qu’insistait la communication du projet - il s’agissait d’offrir de meilleurs espaces de présentation pour les collections permanentes et pour les expositions temporaires. Pour l’agence Dubois & associés – lauréate du concours d’architecture lancé en 2012 - « il ne s’agissait pas d’exposer plus, mais d’exposer mieux ». Ce qui déjà pose question : à quoi bon agrandir un musée si ce n’est pas pour sortir des objets des réserves ? Celles du musée lorrain étant particulièrement riches.
Présentée en septembre 2013, la 1ère esquisse du projet porté par l’agence parisienne Dubois et associés envisageait de faire disparaitre les deux bâtiments de fond de cour classés ainsi que le mur de Baligand en les rasant totalement pour les remplacer par un parallélépipède de verre sérigraphié haut de plus de sept mètres et long de 80 mètres (!) qui aurait pris leur place dans la cour du palais.

Le premier projet
© Agence Dubois & Associés / Olivier Defaye – Infographiste

La mobilisation des défenseurs du patrimoine et en particulier du collectif « Emmanuel Héré », soutenu par la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF), à travers notamment une pétition, obligea cependant la municipalité à revoir le projet d’aménagement. Celle-ci organisa une consultation publique en 2016 en présentant deux « variantes » préservant cette fois le mur de Baligand mais envisageant toute deux la destruction de l’ancienne gendarmerie/école du XIXe siècle. L’alternative consistait en la préservation, pour la première option, de l’écurie du XVIIIe avec l’ajout d’un mur sérigraphié à la place de l’ancienne gendarmerie/école, tandis que la seconde option prévoyait tout bonnement la destruction des deux bâtiments et leur remplacement par l’inévitable mur sérigraphié sur tout le long.

La première option remporta la majorité des suffrages, ce qui abouti à une deuxième version du projet, préservant l’ancienne écurie mais prévoyant toujours la destruction de l’ancienne gendarmerie/école et son remplacement par une nouvelle aile contemporaine en verre sérigraphié de 35 mètres de longueur.

Le second projet
© Agence Dubois & Associés / Olivier Defaye – Infographiste

En 2018, l’Association pour le Patrimoine et le Rayonnement de Nancy attaqua l’autorisation de travaux sur monuments historiques (ATMH) de ce deuxième projet.

Le 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Nancy annula l’ATMH [2] en vue de la réalisation des travaux pour les deux raisons suivantes :

  • les deux bâtiments de fond de cour sont « totalement » protégés, par le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) de la ville de Nancy : Ils ne peuvent être ni détruits, ni transformés (sauf pour un retour à l’état initial) et de surcroit, sont classés monuments historiques ;
  • le nouveau bâtiment « ne comporte aucun toit en pente et n’utilise pas les matériaux traditionnels nancéiens » en infraction avec ce qu’exige le PSMV.

Rappelons que toutes les autorités compétentes (Préfet de région, DRAC & ABF) avaient validé ce projet, dont elles savaient pourtant pertinemment qu’il enfreignait le règlement du PSMV.

Le changement de majorité municipale en juin 2020 pouvait faire espérer, comme promis [3] , une remise à plat du projet.

Cependant, en avril 2021, la nouvelle majorité présenta un « nouveau » projet soit disant « apaisé » mais prévoyant toujours la destruction d’un des bâtiments de fond de cour, l’adjonction contestée d’une galerie en verre sérigraphié contemporaine en plein cœur du palais et une fermeture poursuivie au moins jusqu’en 2027.

Si la surface en sous-sol a été réduite en supprimant un inutile amphithéâtre, de multiples écueils, incohérences et absurdités, demeurent dans cette dernière mouture résumés dans la nouvelle pétition lancée en ligne durant l’été 2023 par l’association défense et avenir du patrimoine nancéien.

Vue aérienne © Agence Dubois & Associés (Ph. Ch. Dubois - F. Mazaud - E. Tardu Architectes Muséographes) / Olivier Defaye – Infographiste
Vue depuis le bâtiment Morey © Agence Dubois & Associés (Ph. Ch. Dubois - F. Mazaud - E. Tardu Architectes Muséographes) / Olivier Defaye – Infographiste

Alors que les précédents appels d’offres pour la rénovation du palais ducal – musée lorrain se sont soldés par des échecs, la ville de Nancy a relancé en juin 2023 un quatrième appel d’offres.

Initialement envisagé à 43 millions d’euros TTC, le budget de ce projet est désormais chiffré à la modique somme d’argent public de 56,5 millions d’euros TTC « prévisionnels ». De surcroit, la fermeture est prévue d’être prolongée désormais jusqu’au moins fin 2029.

Enfin deux précisions importantes :
Lors d’une première révision du PSMV de Nancy, avec enquête publique lancée à l’automne 2019, et approuvée par le préfet en décembre de la même année, les bâtiments de fond de cour ont vu leur protection amoindrie. En effet la petite écurie se retrouve en catégorie d’immeubles B, autorisant des modifications (ici en l’occurrence l’emploi inappropriée de panneaux de verre serigraphié aux fenêtres et l’adjonction d’un sas d’entrée avec ce même verre, (photo ci-dessous), et l’ancienne école se retrouve dans la catégorie fourre-tout d’immeubles « pouvant être conservé, amélioré ou démoli ». Prouvant par la même que la ville savait que le projet enfreignait le PSMV précédent, en vigueur lors de la délivrance de l’ATMH.

Vue depuis le bâtiment Morey © Agence Dubois & Associés (Ph. Ch. Dubois - F. Mazaud - E. Tardu Architectes Muséographes) / Olivier Defaye – Infographiste

Et dernière manipulation du PSMV, suite à une révision opportune en 2022, consistant à dissocier la protection MH et celle offerte par le PSMV. La version officielle consistant à prétendre que cette double protection posait problème lors d’opérations de rénovation, sans qu’aucun exemple concret ne soit produit lors de l’enquête publique !

Plus grave, le commissaire-enquêteur donne son accord à cette dissociation, alors que page 30 de son rapport il reconnait n’avoir eu aucune réponse ni exemple de la Métropole sur l’intérêt de cette dissociation (lien vers le rapport d’enquête et ses annexes)

L’article de « La Semaine de Nancy » du 28 juillet 2022, explique clairement en quoi consiste le stratagème. L’ABF et la DRAC ont donné leur bénédiction à cette opportune dissociation des protections, ce qui répond en partie à la question quant à la gestion du dossier par celle-ci.

La Semaine de Nancy du 28 juillet 2023

Christian Raczkevi & Henri Vallas, association Défense et avenir du patrimoine nancéien

Notes

[1Ancienne Société d’archéologie lorraine, à l’origine de la création du musée.

[3« J’abandonnerai le projet d’extension du Musée lorrain. Je propose de redéployer le projet uniquement sur la restructuration du musée et la mise en valeur des collections. Cela permettra d’aller plus vite (…). Il faut abandonner le projet d’extension du musée, ce n’est plus du tout la priorité ». Propos tenus par Mathieu Klein, actuel maire de Nancy, durant la campagne électorale en mai 2020 - Lorraine actus - 25 mai 2020