En 2023, la société Energie Eolienne Solidaire a déposé une demande d’autorisation environnementale pour un parc éolien « Champ éolien de Ressons » de 5 aérogénérateurs, de 180 m de haut et d’une puissance de 4,5 à 4,8 MW, qui serait implanté à Mont-Saint-Martin, commune située à mi-chemin entre Soissons et Reims, dans le département de l’Aisne. Un de plus !
En choisissant ce territoire, le promoteur s’est affranchi des contraintes naturelles comme la mitoyenneté du projet avec la zone Natura 2000 des « Coteaux calcaires du Tardenois et du Valois » et des deux inscriptions UNESCO (« Les sites mémoriels et funéraires de la Grande Guerre, front ouest » et les « Coteaux, Maisons et Caves de Champagne »).
Le 10 avril 2025, un arrêté préfectoral rejetait, avant l’enquête publique, la demande d’autorisation environnementale estimant que le projet présente des inconvénients majeurs pour les paysages qu’aucune mesure ne pourrait prévenir. Ce rejet s’appuyait sur les avis défavorables de l’inspection des Installations Classées pour l’Environnement (ICPE) et de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF).
Le 10 juin 2025, le promoteur formait un recours en annulation de cette décision devant la cour administrative d’appel de Douai.
Un département saturé d’éoliennes
Rappelons que, selon les chiffres énoncés dans le Panorama de l’éolien dans la région Hauts de France (DREAL, données arrêtées au 31 mai 2022), l’Aisne est « le 1er département de la région concernant les projets en instruction » et aujourd’hui, on compte 516 éoliennes en activité, 204 en construction et 229 en instruction. Et la région Hauts de France détient le triste record avec 30 % des éoliennes françaises implantées sur son territoire. Alors évidemment, ce projet éolien à Mont Saint-Martin suscite colère et incompréhension.
Un écrin de nature préservé
Dans le sud de l’Aisne et en limite de la Marne, le Tardenois présente des paysages conjuguant les vues amples des plateaux vallonnés (« l’océan céréale et la plaine d’or mûrissant » célébré par Paul Claudel) et les courbes généreuses du paysage viticole champenois. Ces espaces naturels, terres marquées par le souvenir de la Grande Guerre et vignobles, sont aujourd’hui menacés par ce projet d’implantation d’éoliennes géantes qui pourrait altérer de façon irréversible la lecture de ces paysages uniques.
Le Tardenois, constitué de belvédères, de cuestas (escarpement lié à l’affleurement de roches dures) et d’étagement des plateaux, présente des caractéristiques physiques qui le rendent particulièrement vulnérable et incompatible avec ce projet. Ces éoliennes bouleverseraient radicalement la perception des proportions, écrasant le dénivelé des plateaux et dominant le paysage sur une très grande distance.
Par ailleurs, ces terres abritent une biodiversité reconnue, avec des zones naturelles protégées (ZNIEFF) et un corridor fluvial classé Natura 2000. À seulement 300 mètres de la zone d’implantation, des sources pétrifiantes, dont le bassin d’alimentation se trouverait sous les éoliennes, approvisionnent un marais alcalin, habitat classé et réservoir d’espèces patrimoniales. L’équilibre fragile de cet écosystème est directement menacé par le projet, tout comme l’importante colonie de chiroptères, gérée par le Conservatoire des Espaces Naturels des Hauts de France, qui gîte à 800 m des futurs mâts.
Une terre de mémoire, témoin silencieux de la Grande Guerre
Le mémorial des Fantômes sur la butte Chalmont est classé au titre des Monuments Historiques depuis 1934, un an avant son inauguration par le président Lebrun. Le sculpteur Paul Landowski a conçu cette œuvre en lien intime avec le paysage. Instaurant un dialogue entre la sculpture et l’horizon, il écrit dans son journal : « autour de ces grands spectres, la terre s’éboule, s’entrouvre. Et ils réapparaissent debout, un peu incertains, les yeux clos (…) la vraie architecture du monument étant le paysage ».
La vue depuis le mémorial est une composante essentielle de l’expérience de recueillement. Le parc éolien de Ressons se situant dans le cône de vue du monument, suivant l’axe majeur du regard des Fantômes, introduirait une présence industrielle dans le champ visuel d’un lieu dédié à la contemplation et à la solennité.
Par l’inscription au Patrimoine Mondial de l’UNESCO des "Sites funéraires et mémoriels de la Grande Guerre, front ouest" en 2023, le paysage du Tardenois est reconnu comme ayant une valeur pour l’humanité entière. Le processus d’inscription charge le paysage d’une signification profonde, le transformant d’un simple espace géographique en un sanctuaire fragile où le passé et le présent dialoguent.
La Vallée de l’Ardre : une mosaïque paysagère de la Champagne viticole
Riveraine du projet éolien de Ressons, la rivière de l’Ardre présente un paysage aux reliefs caractéristiques, associant un fond de vallée étroit à des longs versants en pente douce, aujourd’hui largement occupés, dans les expositions favorables (sud et est), par le vignoble champenois. Ce terroir de l’AOC Champagne décline une des facettes de la mosaïque paysagère viticole entre rivière, coteaux et plateaux.
Ces éoliennes, visibles depuis le versant ouest des coteaux de l’Ardre, auront un fort impact visuel sur des monuments historiques du secteur, notamment les églises romanes de cette vallée. Les églises de Saint-Gilles, de Crugny, d’Arcis-le-Ponsart et de Courville, toutes classées monuments historiques, s’inscrivent dans un parcours touristique du PNR de la Montagne de Reims.
La vallée de l’Ardre, terre aux sols lourds et riches, au calcaire doré (pierre reine de la cathédrale de Reims), à l’eau omniprésente et à la lumière changeante, offre à la fois une harmonie des formes et une diversité des tons. Les coteaux viticoles sont la concrétisation du lien entre terroir et vin.
Le statut de paysage viticole inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO dans la catégorie « paysages culturels » depuis 2015 (« Coteaux, Maisons et Caves de Champagne ») est la preuve de la haute valeur et de la sensibilité des intérêts paysagers concernés. À Ressons, les éoliennes en rebord de plateau, surplomberaient le vignoble du haut de leurs 180 m, un coteau de 70 m de dénivelé, dégradant irréversiblement la lisibilité du paysage en créant une rupture d’échelle et en rompant la cohérence culturelle et historique, dénaturant un cadre cohérent, à l’identité forte et reconnue pour sa valeur universelle.
Un patrimoine menacé, des habitants mobilisés
La grande sensibilité du paysage autour du parc éolien de Ressons provient de la convergence rare entre un relief qui expose et accentue les impacts, une concentration de patrimoines culturels et mémoriels de portée mondiale et une identité paysagère forte et préservée.
Fortement mobilisés et opposés à la transformation brutale et radicale de leur environnement, les habitants se sont prononcés à 87 % contre l’installation de parcs éoliens (sur une participation de près de 40 % des inscrits) lors d’une consultation populaire dans 23 communes du Tardenois en avril 2023.
En novembre 2023, 10 communes riveraines de Ressons, dont l’agglomération du Grand Reims (à 96,87% contre), ont adressé au préfet de l’Aisne des courriers et délibérations s’opposant au projet.
En août 2025, 69 maires de communes du sud de l’Aisne, dont les présidents d’EPCI de Soissons, Château-Thierry, Picardie des Châteaux et Oulchy, ont déposé à la préfecture de Laon une lettre ouverte demandant un moratoire sur l ‘éolien dans les Hauts de France et dénonçant une absence d’écoute des élus locaux et de la population.
Puissions-nous être enfin entendus …









