Recours gracieux contre la délimitation du domaine national de Villers-Cotterêts : pour l’intégration du parc de chasse clos de murs de François 1er

Les domaines nationaux n’existaient que par un abus de langage : il s’agissait de simples biens soumis au régime ordinaire de la domanialité publique. C’est l’un des grands mérites de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine que d’avoir créé un régime réellement protecteur de ces domaines fondateurs de notre mémoire nationale, en instaurant, pour leurs dépendances appartenant à l’Etat, une véritable inaliénabilité (y compris par voie d’échange) et une inconstructibilité de principe, tout en prévoyant un droit de préemption de leurs parties échues à une collectivité locale ou à un particulier.

Autre singularité, la loi prévoit que ces domaines ont pour seule vocation d’être "conservés et restaurés par l’État dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique", hybridation originale transcendant les frontières administratives. Parcs forestiers et réseaux hydrauliques sont donc en principe à rattacher aux différents domaines.

Leur délimitation montre la difficulté de certains ministères - ils sont nombreux à être affectataires de fractions de ces domaines - à se placer dans une perspective d’intérêt général en acceptant de vertueuses servitudes. L’ONF, dépendant du ministère de l’Agriculture, refuse en particulier l’intégration des forêts domaniales closes de murs dans les domaines nationaux de peur de devoir leur appliquer une gestion différenciée. Pourtant, l’approbation du document de gestion par les monuments historiques (une dépendance d’un domaine national appartenant à l’État est ipso facto classée) serait de nature à empêcher les coupes rases observées à Villers-Cotterêts.

D’où un recours gracieux de la part de Sites & Monuments, de la Société Historique de Soisson, de la Société des Amis de Villers-Cotterêts et de l’Association des Parcs et Jardins de l’Aisne, insatisfaites du manque d’ambition publique dans la délimitation du domaine national.

JL

Coupe à blanc dans la forêt de Villers-Cotterêts à proximité du regard monument historique de l’ermitage de Saint-Hubert. Source : vidéo officielle du projet CMN / YouTube.

Paris, le 18 août 2022

Lettre remise en main propre contre récépissé

Objet : demande de retrait du décret n° 2022-906 du 17 juin 2022 complétant la liste de l’article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre de domaines nationaux

Madame la Première Ministre,

Les associations soussignées ont l’honneur de vous demander de bien vouloir retirer le décret n° 2022- 906 du 17 juin 2022 en ce qu’il délimite le domaine national du château de Villers-Cotterêts (Aisne) (décret paru au Journal Officiel du 19 juin 2022, texte 35), pour les raisons exposées ci-après.

La délimitation retenue est celle du Petit Parc et des Grandes Allées, sans l’Allée Royale située au-delà de la RN2. Cela correspond donc au périmètre déjà classé au titre des monuments historiques, mais ne correspond pas au Petit Parc tel qu’il se présentait en 1789. Dans ces conditions, l’intérêt d’un classement comme domaine national est donc très limité.

Le château de Villers Cotterêts a dû son développement à l’intérêt que portait les rois de France à la chasse. Dès lors, il nous semble nécessaire de retenir le périmètre du mur du Parc de Chasse du duc Louis- Philippe d’Orléans (1747-1793), apanagiste, dont il subsiste plusieurs portions. Il serait complété, à l’ouest, par la partie du parc dévolue au roi François 1er, dont les limites sont connues et les murs par endroits également préservés.

Villers-Cotterêts, un château, une forêt. Source : vidéo officielle du projet CMN / YouTube.

Cet ensemble forestier, strié d’allées d’arbres organisées à partir du château - comme l’Allée Royale - est indissociable du reste du domaine. Il comporte en outre l’essentiel de la Laie des Pots, dispositif d’adduction d’eau du château intégralement inscrit au titre des monuments historiques par arrêté du 29 juillet 2013. Celui-ci comporte le regard de Saint-Hubert (inscrit au titre des monuments historiques depuis 1970), nommé aussi Ermitage, qui est un ouvrage important des années 1520-1540.

Au-delà de son statut de monument historique, qui serait conforté, l’intégration du réseau hydraulique au domaine national lui conférerait une inaliénabilité garantissant son intégrité.

Il convient en outre de rétablir une cohérence entre le château, ses jardins, le réseau d’adduction d’eau, sa forêt et la pratique de la chasse, composantes bâties et naturelles, matérielles et immatérielles indissociables à Villers-Cotterêts. L’article L. 621-34 du code du patrimoine prévoit d’ailleurs que les domaines nationaux « ont vocation à être conservés et restaurés par l’État dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique. » L’inclusion d’un ensemble forestier et hydraulique, d’une importante capitale pour l’histoire du domaine, répond ainsi pleinement à l’objectif de la loi.

Regard de l’ermitage de Saint-Hubert (ISMH 1970 et 2013) restauré avec l’aide de la Fondation du Patrimoine mais non inclus dans le périmètre du domaine national.
Forêt de Villers-Cotterêts célébrée à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine en 2022 mais non incluse dans le domaine national.

L’intégration des anciens parcs de chasse au domaine national concernerait presque essentiellement la forêt domaniale de Retz, aussi dénommée de Villers-Cotterêts. L’Office National des Forêts serait ainsi conduit à élaborer une charte de gestion avec la DRAC Hauts-de-France tenant compte du classement au titre des monuments historiques découlant de l’article L. 621-37 du code du patrimoine. Deux gestions cohabiteraient de ce fait au sein de la forêt domaniale Retz, vaste de 13 300 hectares. Celle du cœur du massif - plus attentive aux paysages forestiers et à leurs plantations historiques - distinguerait les 2100 hectares des anciens parcs clos de murs de Villers-Cotterêts.

Délimitation du domaine national de Villers-Cotterêts retenue par le décret n° 2022-906 du 17 juin 2022.

L’inclusion de forêts dépendant de l’ONF dans un domaine national est d’ailleurs prévue par le code du patrimoine, son article L. 621-40 disposant que « les parties des domaines nationaux gérées par l’Office national des forêts en application du 1° du I de l’article L. 211-1 du code forestier ne peuvent faire l’objet d’aucune aliénation, même sous forme d’échange », garantie essentielle.

Seraient naturellement exclues du périmètre du domaine national l’enclave du village de Fleury et les zones urbanisées de Villers-Cotterêts.

L’intégralité des 5400 hectares du parc de chasse clos de murs du domaine de Chambord - domaine frère de celui de Villers-Cotterêts - bénéficie d’ailleurs, depuis sa délimitation par décret n° 2017-720 du 2 mai 2017 du statut de domaine national.

Proposition des associations pour la délimitation du domaine national de Villers-Cotterêts.

C’est donc par une erreur manifeste d’appréciation que l’écrin forestier historique et le réseau hydraulique de Villers-Cotterêts ont été omis de la délimitation de ce domaine national.

Nous vous demandons, par conséquent, de bien vouloir compléter sous ces deux aspects la délimitation de ce domaine retenue par votre décret n° 2022-906 du 17 juin 2022.

Vous remerciant de l’intérêt que vous voudrez bien porter à notre proposition, nous vous prions d’agréer, Madame la Première Ministre, l’expression de notre haute considération.

Denis ROLLAND, président de la Société Historique de Soisson
Bettina CAIGNAULT, présidente de la Société des Amis de Villers-Cotterêts
Nicolas VIVANT, président de l’Association des Parcs et Jardins de l’Aisne
Julien LACAZE, président de Sites & Monuments

PJ : décret n° 2022-906 du 17 juin 2022 complétant la liste de l’article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre de domaines nationaux

Consultez le recours gracieux des associations au format pdf

Consultez la réponse du ministère de la Culture