Refus du Louvre de communiquer le rapport d’état de la couronne d’Eugénie et saisine de la CADA

Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884) et François Gilbert (1816-1891), Couronne de l’impératrice Eugénie, or, diamant, émeraude (H. 13 cm, L. 15 cm), 1855. Etat avant cambriolage. Musée du Louvre, inv. OA 11160.

Par lettre du 30 octobre 2025, distribuée le lendemain, nous demandions à la Présidente directrice du Louvre communication du rapport d’état nécessairement dressé après la tentative de vol de la couronne de l’impératrice Eugénie le 19 octobre 2025, objet restitué accidenté le lendemain au musée par les enquêteurs.

Le 19 octobre, la couronne fut en effet écrasée lors de son extraction de sa vitrine par les voleurs, qui la firent également tomber depuis le balcon de la galerie d’Apollon lors de leur fuite, à tel point qu’elle fut considérée comme irrestaurable.

C’était d’autant plus regrettable que l’œuvre avait été sauvée de la fonte par miracle. Elle fut en effet restituée en 1875 à l’Impératrice en dédommagement d’accroissements de la collection des Diamants de la Couronne faits sur les deniers personnels du couple impérial. Contrairement à la couronne de l’Empereur, fondue par l’Etat en 1887, celle de l’impératrice put ainsi être rachetée par le musée du Louvre en 1988.

Lettre de Sites & Monuments du 30 octobre 2025 demandant communication du rapport d’état de la couronne d’Eugénie au Louvre.
Lettre de Sites & Monuments du 30 novembre 2025 saisissant la CADA du refus tacite du Louvre.

Elle avait été conçue pour l’Exposition universelle de Paris de 1855 par Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884), joaillier du prince-président (futur Napoléon III), puis joaillier de la Couronne en 1853. Après avoir réalisé en 1853 le diadème de perles de l’Impératrice - volé au Louvre le 19 octobre - il fut chargé de réaliser la couronne de l’empereur et celle de l’impératrice. 102 brillants des Diamants de la Couronne, héritage des règnes précédents, pour 32 carats au total, furent réemployés symboliquement dans la couronne d’Eugénie. 453 grammes d’or furent par ailleurs nécessaires, principalement pour modeler ses aigles dessinés par François Gilbert (1816-1891), élève de Cortot, peut-être associés aux frères Auguste (1818-1900) et Joseph (1820-1897) Fannière pour la ciselure.

François Gilbert donna aussi le modèle du surtout de table du Service des cent couverts, sculpté par Georges Diébolt (1816-1861) pour Napoléon III, et montré dans la même salle que la couronne à l’Exposition universelle de 1855. Il est aujourd’hui conservé au musée des Arts Décoratifs. Un beau buste de ce sculpteur est par ailleurs conservé au Louvre.

François Gilbert (1816-1891), auteur de la composition, Georges Diébolt (1816-1861), sculpteur, Christofle & Cie (1842-auj.), fabricant, Paris, 1852/1858, Pièce du surtout des cent couverts. Commandé en 1852 par Napoléon III pour le palais des Tuileries, le surtout est présenté par Christofle à l’Exposition Universelle de 1855 à Paris. Il est retrouvé dans les ruines des Tuileries après l’incendie de 1871. Musée des Arts Décoratifs, inv. 7023 A-G ; 10220-10222.
François Gilbert (1816-1891), Buste de Charles Bouland, 1863. Musée du Louvre, inv. RF 2209.

Une préfiguration de la couronne (à une plus grande échelle) fut imaginée en 1853 par Franz-Xaver Winterhalter (1805-1873) sur le Portrait en pied de l’impératrice, qui portait en revanche le diadème - volé au Louvre en octobre 2025 - que Lemonnier venait de réaliser. Couronne et diadème furent en revanche réunis en 1855 par Georges Diébolt (1816-1861) sur son Buste de l’impératrice aujourd’hui conservé à Compiègne.

Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884) et François Gilbert (1816-1891), Couronne de l’impératrice Eugénie, or, diamant, émeraude (H. 13 cm, L. 15 cm), 1855. Nous soulignons, en jaune, la perte d’un aigle lors du cambriolage. Musée du Louvre, inv. OA 11160.
Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884) et François Gilbert (1816-1891), Couronne de l’impératrice Eugénie, or, diamant, émeraude (H. 13 cm, L. 15 cm), 1855. Etat avant cambriolage. Musée du Louvre, inv. OA 11160.

Alors que notre courrier était parvenu à Laurence des Cars depuis le 31 octobre, la présidente directrice du Louvre déclarait le 7 novembre que la couronne allait être restaurée et serait "certainement" à nouveau exposée, en précisant : "Nous avons déjà des mécènes qui se sont proposés pour aider à cette restauration [...] Il faudra un peu de temps [...], mais ce sera un très beau symbole de la renaissance du Louvre".

Alexandre-Gabriel Lemonnier (vers 1808-1884), Diadème de l’Impératrice Eugénie, 1853. Volé au Louvre le 19 octobre 2025. Musée du Louvre, inv. OA 11369

Pourtant, la Présidente directrice admettait qu’"Il manque quelques petites pièces de diamants et un aigle d’or sur les huit qui étaient présents sur la couronne." Ce manque est en réalité considérable puisque les aigles forment sa structure même. Nous ne comprenons même pas comment l’un d’entre eux peut ne pas avoir été retrouvé... L’objet doit avoir été totalement disloqué, ce qui explique probablement les appréciations jugeant qu’il n’était pas restaurable.

Georges Diébolt (1816-1861), Buste de l’impératrice Eugénie, 1855, avec diadème de 1853 et couronne de 1855. Château de Compiègne, inv. C.38.131.
Franz-Xaver Winterhalter (1805-1873), Portrait de l’impératrice Eugénie, 1853, avec diadème de 1853 et préfiguration de la couronne de 1855. Huile sur toile, 242 x 157 cm. Château de Compiègne, inv. IMP 25.
Moulage pour la RMN du Buste de l’impératrice Eugénie de Georges Diébolt (1855), avec diadème de 1853 et couronne de 1855. Photos Frédéric Miel.

Toujours est-il que, malgré ses déclarations rassurantes du 7 novembre, la Présidente directrice du Louvre opposait, par un silence gardé pendant plus d’un mois (voir article R. 311-13 du code des relations entre le public et l’administration), un refus tacite à notre demande de communication du rapport d’état de la couronne. Ce refus étant acquis le 30 novembre 2025, nous en avons saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) par LRAR du 30 novembre 2025, reçue le 3 décembre 2025.

Le 9 décembre, TF1 diffusait des "images exclusives", dont la source est inconnue, montrant la couronne écrasée, sans plus de précision sur les dégâts subis.

Couronne de l’impératrice Eugénie disloquée à la suite du cambriolage. Images TF1, 9 décembre 2025.

Or, il est important que l’état de la couronne d’Eugénie soit précisément connu (manques, enfoncements, etc.) afin qu’elle ne soit pas abusivement restaurée, chacun ayant intérêt à effacer les conséquences d’un cambriolage qui aurait dû ne jamais se produire. La simple pose de potelets sur le trottoir des quais de Seine ou d’une grille à la fenêtre de la galerie d’Apollon aurait en effet suffi à l’empêcher.

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

Consulter notre saisine de la CADA au format pdf

Aux 4 fils Aymon et Gouverneur, écrin de la couronne de l’impératrice Eugénie, maroquin rouge (H. 16,5 cm, D. 16,5 cm), 1855. Musée du Louvre, inv. OA 11160 bis.