Sites & Monuments n° 225 - 2018 (ÉPUISÉ)

Sommaire

  • Éditorial
    Alexandre Gady, président
  • La législation patrimoniale du « Nouveau Monde »
    Julien Lacaze, vice-président
  • Les champs de ruines de la Grande Guerre
    Emmanuelle Danchin
  • Reims, "ville martyre" de la Grande Guerre
    Yann Harlaut
  • Regards contemporains sur les ruines
  • La Maison du Peuple de Clichy : un monument historique bafoué
    Bernard Toulier
  • Les incroyables tribulations du "chalet à pattes"
    Bénédicte Chaljub
  • Création et entretien des vitraux en Seine-et-Marne (fin XVe-XVIIe siècles)
    Raphaëlle Chossenot
  • Seconde Guerre : les œuvres d’Alfred Boucher dans la tourmente
    Jacques Piette
  • Patrimoine : les cimetières aussi...
    Jean-Pierre Ehrmann
  • Et Dieu créa... le paysage
    Pierre Bénard
  • Les allées mémorielles de la Grande Guerre
    Chantal Pradines
  • Un paysage éolien ? Une duperie indéfendable
    Philippe Peyroche
  • État et perspectives de l’éolien en Haute-Marne
    Jean-Louis Remouit
  • Quelle forêt pour les générations futures ?
    Guy Rochon
  • XXIXe concours pour la préservation du patrimoine
     Prix "Second oeuvre" 2018
     Prix "Allées d’arbres" 2018
  • Notes de lecture
    Pierre Bénard

Editorial d’Alexandre Gady, Président de Sites & Monuments

« NOUVEAU MONDE  » ?

La politique est «  l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde  ». Ne pourrait-on placer l’année 2018 sous le patronage de ce cruel aphorisme de Paul Valéry ? Ou même y voir un hommage indirect au rôle des associations de citoyens, groupés autour d’un idéal à défendre  ? Depuis 117 ans, notre société essaye en effet de s’occuper de ce qui la regarde. Sans exclusive, elle travaille aujourd’hui avec d’autres associations, également actives pour défendre le bien public : Vieilles Maisons françaises, Paysages de France, France Nature Environnement, l’ordre des Architectes… ainsi que des dizaines d’associations locales, que nous sommes heureux d’appuyer, à l’occasion, de notre grand âge. La beauté des monuments, des villes et des paysages regarde tout le monde, et cette beauté offerte est donc une richesse qui nous concerne.

L’année qui s’achève offre un bon bilan du «  Nouveau Monde  » politique en action. Celui-ci est contrasté, sinon contradictoire, démontrant si c’était nécessaire que le «  en même temps » macronien ne fonctionne pas mieux ici qu’ailleurs… 2018 a ainsi connu un combat majeur sur le plan législatif, combat toujours recommencé depuis vingt ans : la défense du système de protection français, menacé par la loi dite «  élan  », qui a attaqué encore une fois le rôle de l’architecte des Bâtiments de France ; bien que née dans le «  Nouveau Monde  », celle-ci a un furieux air de «  déjà-vu  »… Nous avons bataillé, écrit, consulté, démarché et déposé des amendements. En vain, et c’est une commission mixte paritaire qui a fini par dire la loi cet automne. L’avis conforme des abf sera bien entamé dans deux cas précis. Mauvais signal !

Disons-le sans détour  : cette loi est une collection de mauvais coups portés à des domaines divers, tous liés à l’architecture et au logement. Elle appartient à la catégorie des textes dictés par les lobbys, en l’occurrence ceux du BTP, et aura demain des conséquences fâcheuses, insidieuses dans un premier temps, visibles quand il sera trop tard pour réagir.

Quel contraste avec le bilan positif de deux initiatives de l’Élysée en matière de patrimoine  ! Conformément à ses promesses de campagne, le Président de la République a bien engagé le sauvetage du château royal de Villers-Cotterêts, confié au Centre des Monuments nationaux et voué demain à devenir un haut lieu de la francophonie. Surtout, la mission confiée à Stéphane Bern – un de nos adhérents, que nous saluons amicalement – a été un grand succès populaire. Grâce à l’engagement formidable de l’animateur médiatique, le Loto du patrimoine de septembre dernier a tenu ses promesses. On n’a jamais autant parlé de patrimoine au plus haut sommet de l’État. Voilà une chose qui nous enchante et nous encourage.

C’est pourquoi il faut déplorer, avec d’autres, l’état actuel du ministère de la Culture, qui ne peut faire fructifier ces résultats. Le Président a malheureusement commis une erreur en nommant rue de Valois Mme Nyssen, éditrice et femme de culture qui présentait sur le papier un profil idéal, avant de se révéler en réalité catastrophique. Absence de vision et d’idée, incapacité de porter une parole forte, voire simplement audible, arbitrages erronés (Marseille, Arles…). Manipulée et infantilisée par sa haute administration, elle dessert hélas la cause du patrimoine. Jusqu’aux révélations du Canard enchaîné, cet été, qui ont montré qu’en plus, avec son époux, elle dégradait les édifices anciens dont sa maison d’édition est propriétaire, tant à Arles qu’à Paris (voir 2e de couverture). La gravité des faits a finalement poussé notre association à déposer plainte contre elle fin août, ce qui a soulevé une tempête médiatique et entraîné immédiatement l’ouverture d’une enquête du parquet de Paris. Laissons la Justice travailler, mais notons d’emblée que la crédibilité de Mme Nyssen, chargée de faire respecter les lois sur le patrimoine, s’en trouve très affaiblie. Si elle n’a pas encore été remerciée, ses jours rue de Valois sont évidemment comptés : que de temps perdu !

En attendant, le ministère est décapité : si le départ de Vincent Berjot, comptable venu de Bercy qui était à contre-emploi à la direction générale des Patrimoines, est une bonne nouvelle, trop de postes importants sont actuellement vacants (direction des musées, direction des archives de France, direction de la RMN, direction de la Villa Médicis et de plusieurs écoles d’architecture…), comme si la ministre était incapable de procéder à des nominations, pourtant le cœur d’une bonne politique. C’est ainsi tout l’appareil de la Culture qui est grippé et travaille au ralenti, sans vision claire. Le rapport commandé en juin à Philippe Belaval, président du CMN et fin connaisseur de la rue de Valois, suffira-t-il à relancer la machine ? Avant de faire du mécano administratif, éternelle tentation, il faut incarner les fonctions et nommer un véritable ministre. Sites & Monuments soutiendra toutes les bonnes mesures et toutes les initiatives permettant de redresser le ministère de la Culture, car nous avons besoin d’un État fort dans ce domaine.

Sur le plan environnemental, le bilan du « Nouveau Monde  » est également mitigé, en raison d’une trop grande tolérance aux lobbys. L’accélération du développement des aérogénérateurs industriels polluants, dits «  éoliennes  », voulue par le Gouvernement, est évidemment une très mauvaise nouvelle pour nos paysages terrestres et maritimes. Dans certaines zones, on commence à sentir venir la saturation. Au point qu’une figure politique importante, le président de la région Hauts-de-France, s’en est ému cet été. Redisons ici qu’avec la totalité des associations de défense des paysages et des sites, nous demandons un moratoire sur ces travaux, presque partout objets de recours, ainsi qu’une étude complète des effets de ces machines sur les plans énergétique, financier, fiscal et esthétique. Dans cette perspective, une enquête parlementaire serait également bienvenue. Symbole de l’imposture d’une écologie de façade, ces machines seront demain un champ de ruines qu’il sera difficile d’effacer de nos paysages.

Il y a pire : malgré le réchauffement climatique et la mondialisation des problèmes, on continue de mutiler des sites sensibles, jardins ou forêts, avec leurs fragiles éco-systèmes, et de pratiquer la politique de la tronçonneuse. Massacre à Luminy (Bouches-du-Rhône) de 289 arbres pour l’extension en béton d’une école commerciale dans le site inscrit de l’aire d’adhésion du Parc national des Calanques. Cela malgré un avis défavorable de l’abf et la protestation des 177 000 signataires d’une pétition. Sites&Monuments a naturellement déposé un recours contre ce permis correspondant et a formé une plainte pour destruction d’espèces protégées (voir notre couverture). Autres massacres : ceux que l’on a commis pour des bretelles autoroutières désuètes à Beynac, au cœur de la Dordogne, et derrière Strasbourg, près du magnifique parc de Kolbsheim. à quoi s’ajoutent la menace pesant sur le dernier espace vert sauvage d’Île-de-France et la poursuite de la densification de Paris… Alors que tous ces projets sont douteux, voire nuisibles, il est désespérant de ne pas pouvoir faire évoluer les mentalités. Pourquoi ne jamais ressentir la beauté et la fragilité sacrée de cette nature qui va bientôt nous manquer, à force de manipulations et d’amputations  ? Il faut du courage, comme le Gouvernement en a eu, saluons-le, dans l’affaire du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. S’il était difficile d’imaginer un projet plus stupide, la machine technocratique avait été si bien lancée que tout débat était verrouillé d’avance. On remarque avec inquiétude qu’il aura ici fallu des actions violentes et hors du droit pour faire triompher le bon sens et empêcher un massacre écologique. Voilà qui pose question sur l’état du débat public dans notre pays. C’est pourquoi il est urgent de réformer les procédures de consultation et de concertation du public, trop souvent réduites à un jeu de dupes, et de démocratiser les procédures liées aux grands chantiers environnementaux, en réformant par exemple les enquêtes publiques, trop souvent biaisées. Malgré les beaux discours, la France est en retard dans ce domaine et c’est à ce prix que l’état de droit pourra demeurer vainqueur.

Le «  Nouveau Monde  » a encore du travail et des efforts d’imagination à fournir pour exister autrement que dans l’incantation politico-médiatique. Sites&Monuments poursuivra donc son chemin, afin de défendre notre patrimoine et nos paysages, source d’aménité et de richesse intérieure.


⋅ Directeur de la publication :
Alexandre Gady
⋅ Rédacteurs en chef :
Pierre Bénard et Robert Werner
⋅ Secrétaire d’édition :
Farideh Rava