Sites & Monuments n° 228 - 2021

Revue 228 -Année 2021 (France uniquement)

20,00 EUR

Sommaire

  • Éditorial - Déconstruction
    Julien Lacaze

PATRIMOINE NATUREL

  • La baie de Somme
    Dominique Cocquet
  • La baie du Mont-Saint-Michel
    Jean Malphettes
  • La Méditerranée, un bien commun
    Jean-Louis Hannebert & Jeanne Becquart-Leclercq

ARCHITECTURE DE VILLÉGIATURE

  • L’avenir du patrimoine balnéaire et thermal
    Philippe Viger
  • Nice, inscrite au patrimoine de l’humanité
    Julie Reynes
  • Vichy, entre rivières et sources thermales
    Yves-Jean Bignon & Fabienne Gelin
  • Mers-les-Bains, un patrimoine balnéaire préservé
    Guy de Boiville
  • La villégiature des sports d’hiver
    Jean-François Lyon-Caen

DOMAINES NATIONAUX - I

  • Les domaines nationaux, entre héritage et innovations
    Frantz Schoenstein
  • Le domaine de Saint-Germain-en-Laye
    Jean-Baptiste Galland
  • Un patrimoine en péril : le réseau hydraulique de Versailles
    Pierre Masselin

ÉNERGIES NOUVELLES

  • Éoliennes, une impasse bien française
    Michel Faure

LABELS PATRIMONIAUX

  • Les Arbres Remarquables
    Isabelle Gérard-de Mersseman & Georges Feterman
  • Grands Sites de France
    Anne Vourc’h
  • Architecture contemporaine remarquable
    Benoît Pouvreau
  • Villes et Pays d’art et d’histoire
    Marylise Ortiz

CONCOURS POUR LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE

  • Prix 2021 des Allées d’arbres
    _Chantal Pradines
  • Prix 2021 du Second œuvre
    Michel Jantzen

IL Y A CENT ANS

  • 1921 : Gavarnie et M. Beauquier
  • 1921 : Classement des oiseaux rares

Editorial de Julien Lacaze,
Président de Sites & Monuments

DÉCONSTRUCTION

Le quinquennat de notre Président de la République a été, dans le champ de nos statuts, celui des déconstructions, dans toute l’étendue des acceptions de ce terme.

Dès février 2017 — nous ne prêtions alors guère attention à ces propos de campagne — Emmanuel Macron a déclaré qu’« Il n’y a pas de culture française » mais « une culture en France », celle-ci étant « diverse » ou, devant nos expatriés londoniens, n’avoir « jamais vu d’art français ». Quatre ans plus tard, en avril 2021, le Président déclara à New York que la France devait « déconstruire [sa] propre histoire », notamment coloniale. C’était évidemment faire allusion à Jacques Derrida (1930–2004), inventeur du mot et fondateur aux États-Unis d’une French Theory nous revenant tel un boomerang. Les fondements de la culture, de l’art et de l’histoire de France devaient trembler.

Le climat ainsi créé permettait d’agencer l’Histoire et le patrimoine français dans un ordre plus conforme aux dogmes de notre époque, notamment en « restituant » certaines œuvres provenant d’Afrique — gommant ainsi tout un passé colonial — ou en reléguant certaines sculptures ou enseignes pour leur en substituer d’autres, dans un mécanisme inquiétant de soustraction mémorielle.

Emmanuel Macron refuse en cela de prendre rang dans l’histoire de France par un processus classique de stratification, en bâtissant sur un édifice hérité de ses prédécesseurs, mais souhaite le « déconstruire » à l’aune de ses propres conceptions, comme Derrida entendait faire dire aux auteurs classiques ce qu’ils n’avaient pas écrit.

Par définition, toute déconstruction est le processus inverse de la construction mais suppose un certain respect pour les matériaux désassemblés et un projet de construction nouvelle, visant à leur réemploi. Déconstruire n’est donc, en principe, pas tout à fait détruire.

Son effet en matière d’architecture, première occurrence du terme, ne laisse pourtant aucun doute sur sa signification réelle. On a ainsi notamment « déconstruit » l’enceinte classée au titre des monuments historiques et des sites du domaine national de Saint-Cloud, la chapelle Saint-Joseph de Lille, la caserne Miribel de Verdun — à coups de fonds « Action cœur de ville » — ou une partie du site patrimonial remarquable de Marseille en application de la loi « ÉLAN », sort qui attend probablement la cité- jardin de la Butte Rouge… Il s’agit, sous couvert du « recyclage » de leurs matériaux, d’atténuer la violence de l’acte en changeant le mot, devenu un euphémisme de détruire. Et pour construire quoi, alors que les bâtiments abattus étaient réutilisables ? Un parvis, un grand bâtiment vitré ou, partout, de l’architecture « de promoteur », celle omniprésente dans le Grand Paris, témoignant plus de l’avènement de la « ville générique », pour reprendre l’expression de Rem Koolhaas, que d’une quelconque créativité.

L’emploi du terme déconstruction est d’ailleurs aujourd’hui à ce point généralisé que l’on ne rencontre plus aucune démolition en France.
Il trouve son pendant dans le « remontage » chimérique de la flèche de Saint-Denis à partir de blocs inutilisables, résiduels (8 % du total) et datant essentiellement du XIXe siècle, entreprise mobilisant, pour l’heure, 25 millions d’euros de fonds publics.

Ce mouvement de déconstruction s’étend naturellement à notre architecture administrative. Celle des grandes écoles (ENA), de corps de fonctionnaires (notamment la « préfectorale ») ou de ministères entiers, comme celui de la Culture. Son inspection générale des monuments historiques — fondatrice en 1830 de la protection du patrimoine avec Vitet et Mérimée — n’existe plus depuis janvier 2021, tandis que son expertise patrimoniale, notamment dans le montage des dossiers de protection, s’étiole au profit d’officines privées, à qui la délimitation de nos domaines nationaux a même été confiée !

Cette logique affecte naturellement les biens immobiliers jadis affectés à ces services publics, cédés sans protection préalable pour être détruits, densifiés ou réaffectés avec plus ou moins d’égards pour leur valeur symbolique (casernes, maisons forestières, écoles, gares, palais de justice, succursales de la Banque de France, hôpitaux fameux, école d’agronomie…)

Mais c’est surtout le droit que l’on souhaite déconstruire. Celui-ci s’était pourtant continuellement perfectionné au profit du patrimoine. Ainsi, à compter des années 1830, des circulaires ministérielles ont d’abord protégé les monuments historiques propriété des collectivités, puis la loi, celles de 1887 et de 1913, d’autres biens notamment publics, avant de s’appliquer d’office à la propriété privée. Cette protection a été complétée en 1943 par celle des abords des monuments, puis étendue aux villes elles-mêmes avec la loi « Malraux » sur les secteurs sauvegardés de 1962, prolongée en 1983 par des ZPPAUP, plus souples, tandis que la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) de 2016 traitait pour la première fois des domaines nationaux et des ensembles mobiliers. Dans le domaine des paysages, citons « notre » loi de 1906 sur la sauvegarde des sites, l’extension de ses effets à la propriété privée en 1930, la création du conservatoire du Littoral en 1975, ainsi que la loi Littoral de 1986 protégeant les communes maritimes et lacustres de l’urbanisation.

Loin d’adapter notre droit à l’évolution des menaces — en particulier celles nées des nouveaux modes de production et d’économie d’énergie (éolien, photovoltaïque, rénovation thermique) ou de la mondialisation des échanges (brassage planétaire des œuvres d’art) — l’actuel quinquennat est à la source d’un reflux historique : il s’agit de défaire l’édifice normatif patiemment assemblé, sans volonté de le reconstruire.

Les principes de cette déconstruction — si toutefois ils existent — étonnent. Ainsi, il ne s’agit pas toujours de libéraliser l’économie. En effet, le soutien financier de l’État vient souvent en aide à des projets non rentables, mis en conséquence à la charge de la collectivité. Le développement de l’éolien, celui de la massification des rénovations thermiques, comme de la vente à la découpe des monuments historiques, n’existeraient pas sans compléments de rémunération, éco-prêts à taux zéro ou déductions fiscales.

Ces nouveaux secteurs, si nocifs pour le patrimoine bâti et paysager, ont également suscité de nouvelles normes, souvent inextricables, comme en témoignent les réglementations éoliennes ou thermiques. La réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE) fin mars 2021, succédant à la méthode dite « des factures » pour le bâti antérieur à 1948 — a ainsi rendu invendables de nombreuses maisons anciennes, transformées fallacieusement en passoires thermiques — et conduit le ministère de la Transition écologique à en suspendre l’application.

Comment comprendre, aussi, que les éoliennes de Lunas, dans l’Hérault, ne soient toujours pas démontées, malgré l’annulation définitive de leur permis, après trois victoires devant le Conseil d’État, dont il faut aujourd’hui, particularité du droit français, obtenir l’exécution devant les tribunaux judiciaires, jusqu’en cassation, compte tenu de l’acharnement du promoteur. Tout ceci en évitant les écueils de la « loi Macron » du 6 août 2015 — annonciatrice des réformes du quinquennat — limitant les effets de l’annulation d’un permis à certaines parties du territoire (article L. 480–13 du Code de l’urbanisme) ! La « simplification » n’existe-t-elle donc qu’à sens unique ?

D’autres activités naturellement lucratives, comme la promotion immobilière, la publicité extérieure ou l’exportation d’œuvres d’art, se satisfont en revanche du détricotage systématique de la norme par suppression, ici, d’une obligation de déclaration, là, d’une possibilité d’intervention régalienne ou par la déconcentration ou la décentralisation des autorisations, forme de bannissement d’une compétence dont on ne veut plus.

Le « faire », subventionné ou non, est en définitive toujours privilégié au détriment de l’héritage, ce qui devient évidemment critiquable lorsqu’il est collectif. Cette logique est notamment à l’œuvre dans le refus obstiné de soustraire les monuments historiques ouverts au public du calcul de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), malgré leur apport évident à la culture et à l’attractivité locale.

Le vandalisme législatif, pour reprendre l’expression d’Olivier Chaslot, est vertigineux dans nos matières depuis cinq ans. Il est opéré dans l’urgence, la procédure parlementaire du même nom étant toujours engagée (ce qui empêche d’amender sérieusement les textes), parfois dans plusieurs domaines simultanément ou lors de périodes de vacances, si possible au seul échelon réglementaire, par des mesures techniques, des modifications de seuils…
Voici, afin d’en mesurer l’effet cumulé, un bref aperçu de la déconstruction normative en cours dans notre champ statutaire.

Un patrimoine architectural conçu comme une gêne

L’action présidentielle débuta par le refus de ratifier une ordonnance de « l’ancien monde » prise sur habilitation de la loi LCAP. Devenue ainsi caduque le 28 octobre 2017, elle créait, pour les immeubles comme pour les meubles, une « instance de protection », mesure plus efficace que l’instance de classement et faisait prévaloir une inscription au titre des monuments historiques sur un permis déjà délivré (lacune législative dont le ministère de la Culture se prévaudra, une fois la caducité de l’ordonnance acquise, pour abandonner la chapelle Saint-Joseph de Lille et la caserne Miribel de Verdun à leur triste sort !) Il s’agissait également d’accroitre l’efficacité de la procédure des « travaux faits d’office » par l’administration, en l’affranchissant de certains recours. Bref, des dispositions absolument nécessaires pour remédier à des situations de péril.

Quelques mois plus tard, la loi de finances rectificative du 27 décembre 2017 supprima en catimini l’agrément du ministère des Finances, accordé sur avis du ministère de la Culture, permettant d’accéder à la fiscalité monument historique en cas de vente à la découpe d’un édifice classé ou inscrit (voir Sites & Monuments nº 227). Ce mode de « restauration » était ainsi banalisé, menaçant les monuments historiques en périphérie des métropoles, comme le domaine de Pontchartrain et, désormais, celui de Grignon !

La loi évolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 23 novembre 2018 (voir Sites & Monuments nº 225) — dénommée loi ÉLAN selon un marketing législatif révélateur de l’indigence de ses fondements — s’attaquait pour la première fois à la loi Littoral de 1986 en autorisant le comblement de « dents creuses » des hameaux, jusqu’alors inconstructibles, au risque de les transformer en villages, librement extensibles.

Elle créait surtout des exceptions à l’autorisation des architectes des bâtiments de France (ABF), sous la forme d’une liste à la Prévert ne demandant qu’à s’allonger (nouvel article L. 632–2–1 du Code du patrimoine). Les bâtiments placés sous arrêté municipal de péril, ceux inclus dans un projet de rénovation urbaine — c’est-à-dire les plus menacés — ou les antennes de téléphonie mobile, font désormais l’objet d’un avis simple de l’ABF, purement incantatoire. Le texte facilitait, dans le même temps, la « redélimitation », à la demande des maires, des indispensables abords des monuments historiques (500 m), premier instrument de protection du patrimoine français. On devine aisément dans quel sens.

Pour faire bonne mesure, la loi simplifiait l’action en recours abusif, menace brandie par les promoteurs contre leurs opposants, et interdisait à toute association déclarée moins d’un an avant une opération d’urbanisme d’ester en justice contre celle-ci (nouvel article L. 600–1–1 du Code de l’urbanisme), mesure aussi inquiétante qu’incompréhensible, questionnant la liberté d’association comme le droit à un recours effectif.

Dans la louable intention de lutter contre l’artificialisation des sols, la loi Climat du 22 août 2021 accroît malheureusement la pression sur le patrimoine bâti et naturel des villes en introduisant notamment de nouvelles exceptions aux règles de gabarit, sans travailler au rééquilibrage de l’activité au profit de zones disposant de logements vacants, soit une fuite en avant vers une métropolisation de notre territoire que de nombreux urbains fuient pourtant désormais…

La loi Climat menace surtout très profondément la substance du bâti ancien en refusant de distinguer selon les constructions antérieures ou postérieures à 1948, malgré des comportements hygrothermiques et une architecture très différents. L’inadéquation des diagnostics au bâti ancien, des audits obligatoires réalisés par des professionnels peu formés à la diversité du bâti et assortis de prescriptions de travaux indifférenciées, joints à des interdictions de louer certaines catégories de biens, conduiront à des catastrophes patrimoniales : disparition de nos menuiseries anciennes, banalisation des façades ou suppression de décors intérieurs, pour un coût sanitaire (dégradation de la qualité de l’air intérieur) et financier considérables. La dimension culturelle du bâti est en définitive niée, celui-ci étant réduit à sa performance thermique et aux emplois peu qualifiés que suscite sa rénovation.

Le développement de l’éolien par la réduction des droits

Afin de permettre le développement de l’industrie éolienne, le décret « de Rugy » du 29 novembre 2018, outre l’établissement d’embûches procédurales, comme la « cristallisation des moyens », supprime purement et simplement un degré de juridiction dans le contentieux de l’éolien terrestre, désormais porté en premier et dernier ressort (hors cassation éventuelle) devant la Cour administrative d’appel, juridiction plus lointaine et onéreuse que les tribunaux administratifs.

Bien que notre Président ait souligné, le 14 janvier 2020, que le « consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir » et, qu’ainsi, « la capacité à développer massivement l’éolien terrestre en France est réduite », un décret du 21 avril 2020 sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit d’ajouter a minima 6500 nouvelles machines d’ici 2028 aux 8000 existantes, soit un quasi doublement en nombre, mais aussi en hauteur, des aérogénérateurs… Chef-d’œuvre de « en même temps », les déclarations présidentielles sur l’éolien — prétendument défavorable en privé à cette énergie mais faisant tout pour favoriser son développement — confinent à la déconstruction intellectuelle.

Afin de rendre ces objectifs opposables, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 crée des quotas régionaux d’éoliennes avec lesquels documents d’urbanisme (SRADDET et SCOT) devront être « compatibles ». Il s’agit là d’un lien étroit, contrairement à la simple « prise en compte », qui aurait été plus conforme au principe de libre administration des collectivités.

Les objectifs en matière d’éolien en mer sont plus déraisonnables encore, puisqu’un potentiel de 57 GW installés à l’horizon 2050 a été validé en Comité interministériel de la mer (CIMer) le 22 janvier 2021. Cela correspond à l’équivalent de 114 parcs comme ceux de Saint-Brieuc ou d’Yeu- Noirmoutier, composés d’une soixantaine d’éoliennes géantes, occupant chacun près de 75 km², menace qui suscitait, le 16 juin 2021, un avis particulièrement critique de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages (CSSPP).

Afin d’atteindre cet objectif, la loi d’Accélération et de simplification de l’action publique du 7 décembre 2020 (dénommée ASAP comme « as soon as possible ») prévoit — alors qu’un décret de janvier 2016 avait déjà donné compétence en premier ressort à la Cour administrative d’appel de Nantes pour tout le contentieux de l’éolien en mer — de supprimer ce niveau de juridiction ! Le Conseil d’État, organe de cassation, sera désormais compétent en premier et dernier ressort, au point qu’il faudrait supprimer tout recours en matière d’éoliennes pour aller plus loin…

Le déracinement accéléré du patrimoine mobilier

Dans le domaine du patrimoine mobilier, le rapport Savoy-Sarr sur la restitution du patrimoine africain a été remis le 23 novembre 2018 à l’Élysée. Celui-ci, commandité par Emmanuel Macron à la suite de son discours de Ouagadougou de novembre 2017, malmène le principe fondateur d’inaliénabilité des collections publiques, trouvant ses racines dans l’édit de Moulins de 1566 et diverses lettres patentes de Louis XIV…

Du point de vue fiscal, la loi de finances du 28 décembre 2019 abroge la possibilité qu’avait une entreprise d’acquérir pour son propre compte, afin de l’exposer, un trésor national en déduisant 40 % de sa valeur de son impôt. Il s’agissait de la seule compensation, dans notre droit, des effets du classement monument historique sur les œuvres, notamment de leur interdiction d’exportation, logique qu’il aurait fallu, au contraire, étendre en créant une dation et une donation de servitude d’attachement à perpétuelle demeure destinée à fixer les œuvres dans leur contexte historique.

Puis, entre Noël et le jour de l’An, un décret du 28 décembre 2020 a doublé les principaux seuils de déclaration à l’exportation des biens culturels. Ceux-ci, fixés à 300 000 euros (au lieu de 150 000 euros) pour les tableaux ou à 100 000 euros (au lieu de 50 000 euros) pour les objets d’art, rendent désormais lettre morte tout un pan de la loi permettant de connaître et de réguler leur exportation. Ce qui résout également la question, par leur suppression pure et simple, de la communication des certificats d’exportation (voir Sites & Monuments nº 226). Les exemples de chefs-d’œuvre de la peinture ancienne estimés moins de 300 000 euros abondent malheureusement. Nous avons donc engagé une action devant le Conseil d’État contre ce décret pris à la demande du marché de l’art.

Une loi du 4 juin 2021 supprimait en outre, malgré nos protestations, la faculté, confiée à la Fondation du Patrimoine, de réaliser des « portages patrimoniaux », c’est-à-dire d’exproprier un monument en déshérence pour le céder, après travaux de sauvetage, avec un cahier des charges, ou de préempter des œuvres en vente publique pour les maintenir en dépôt dans un monument historique et, éventuellement, les rétrocéder assorties d’une protection adéquate. Un tel portage était pourtant de nature à remédier aux dispersions des collections des châteaux de Pontchartrain, de Bosmelet, de La Rochepot, de Verteuil ou de la Maison de Verre et de bien d’autres monuments historiques.

Ainsi, les protections tendant à fixer les œuvres reculent, dans un contexte de renforcement des menaces (digitalisation et mise en réseau planétaire des ventes d’œuvres d’art).

La publicité extérieure portée au pinacle

La loi olympique du 26 mars 2018, texte expérimental, créa, entre autres allégements normatifs temporaires, une dérogation à l’interdiction de la publicité sur les monuments historiques (hors travaux) et sur les sites classés, revenant ainsi sur la loi Beauquier du 20 avril 1910. Le Champ de Mars, la place de la Concorde, les Champs-Élysées et le parc de Versailles sont notamment concernés.

De façon pérenne, cette fois, la loi Climat du 22 août 2021 confie l’autorité de la police de la publicité — traditionnellement exercée par les préfets — aux maires, sans aucun pouvoir de substitution en cas d’inaction des municipalités.
Outre l’absence de compétence de nombreuses communes ou intercommunalités dans ce domaine, leur trop grande proximité avec les intérêts économiques concernés laissera largement sans sanction les infractions des afficheurs.

Un mécanisme de déconcentration, finalement assez proche dans ses effets, avait été tenté par décret en décembre 2018 concernant les autorisations de construire en site classé. Le préfet de département les aurait ainsi délivrées en lieu et place du ministre chargé des sites, compétent depuis la loi de 1906, alors que la centralisation est ici indispensable face aux enjeux financiers considérables de la construction en site classé. Le gouvernement dût renoncer à son projet sous la pression des associations. C’est, avec la loi Notre-Dame, son seul recul notable, en cinq ans, dans nos matières.

Bilan

Les traits saillants de cette déconstruction sont la réduction drastique du droit à agir en justice pour défendre les paysages (dans le contentieux de l’urbanisme comme de l’éolien terrestre ou maritime) ; la paralysie de l’action d’urgence en faveur du patrimoine (instance de protection, travaux faits d’office comme portage patrimonial) ; la libéralisation de la construction (diminution des responsabilités des ABF, exceptions à la loi littoral, dérogations et encouragements multiples à la densification, y compris par lotissement de monuments historiques) ; la massification assumée de la rénovation thermique au profit des solutions industrielles du triptyque PVC – polystyrène – placoplâtre ; l’accélération du brassage mondial des œuvres d’art publiques (restitutions) ou privées (rehaussement des seuils d’exportation, refus de communiquer les certificats d’exportation, refus d’une dation de servitude de classement) ; la libéralisation de la publicité extérieure (à l’occasion des Jeux olympiques ou par la décentralisation de sa police).

Et ce n’est évidemment pas le très médiatique loto du patrimoine ou les 1 % prélevés sur le tarif subventionné des éoliennes — confinant à l’achat des associations locales — ou quelques restaurations spectaculaires et réussies, celles de l’hôtel de la Marine ou du château de Villers-Cotterêts, dans le cadre du plan de relance, qui compenseront cet effondrement normatif.

Ainsi, au cours de son premier quinquennat, Emmanuel Macron a voulu déconstruire l’histoire, la pierre et la loi, sans rien édifier de probant, comme Derrida, penseur abscons, a finalement détruit le sens des mots.


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