Un gigantesque hangar photovoltaïque menace le site médiéval de Chirat-l’Église

Site de Chirat-l’Eglise, avant / après (photomontage) implantation d’un hangar photovoltaïque.

Les projets de constructions liées aux énergies nouvelles sont actuellement en plein essor et touchent désormais de nombreuses zones rurales par l’implantation de hangars photovoltaïques aux dimensions gigantesques, plus ou moins utiles à l’agriculture.

Tout comme les éoliennes, ces bâtiments peuvent constituer une atteinte aux sites et aux paysages environnants.

À Chirat-l’Église, un permis de construire a été délivré autorisant la construction d’un hangar photovoltaïque de 1848 m² dans un secteur très rural et préservé de « l’agro-industrialisation » et à proximité immédiate de l’église romane et de son prieuré des XIe et XIIe siècles.

Vue aérienne du site de Chirat-l’Eglise avec, en rouge, l’emprise du futur hangar photovoltaïque.

Le site médiéval de Chirat-L’Église

Dans la grande boucle de la rivière Bouble (affluent de la Sioule), un plateau pierreux, doté d’un superbe panorama, accueille le site de « Chirat ».

L’église Saint-Pierre-et-Saint-Étienne du XIe siècle forme avec son prieuré un groupe de bâtiments sans autre voisinage proche que celui du cimetière. Aucun bâtiment moderne ou contemporain, hormis un modeste hangar agricole, n’empiète sur le cœur du village demeuré médiéval, ni sur les autres hameaux semés dans le paysage.

Les hameaux voisins s’égrainant dans ce paysage constitué de parcelles agricoles bocagères et de parcelles boisées. Nulle nuisance auditive, visuelle ou olfactive.

Vue ancienne du site.
Vue actuelle du site. L’église entourée de son cimetière (à gauche) et de son prieuré (derrière et à droite).

Au nom géographique de Chirat, a été ajouté, au moins depuis le XIIIe siècle [1], « l’Église », alors que tous les villages possèdent une église (la plupart romane) en Bourbonnais et en Auvergne.

Cette église remarquable n’a pas encore l’heur d’être classée, mais elle le mériterait par la pureté et l’agrément de ses lignes et matériaux. Quelques détails touchants, dont deux chapiteaux de très belle facture se faisant face. On y montre, d’un côté, des priants à genoux, levant les mains en signe de protection, de l’autre, des démons fuyants...

Flanquant l’église romane, l’ancien prieuré du XIe siècle est mentionné dans plusieurs ouvrages patrimoniaux [2]. La mention écrite la plus ancienne concernant l’église et le prieuré de Chirat-l’Église date de la cession de ceux-ci par l’archevêque de Bourges à l’abbé bénédictin de Souvigny en 1124.

L’ancien prieuré attenant à l’église devenu siège d’une exploitation agricole au milieu du XXe siècle.

Situé au nord de l’église, il forme une cour intérieure intime, qui clôture un espace privé empierré permettant de se rendre directement aux offices publics.

Le prieuré est constitué d’un bâtiment rectangulaire, accolé d’une tour carrée et d’une ancienne bergerie en retour d’équerre, comportant notamment une tour carrée du XIVe siècle avec sa charpente d’origine à quatre pans, des linteaux en pierre avec accolade sculptée du XIVe siècle, pentacle du XVIIIe siècle et avec rosace du XVIe siècle. Il possède également des caves voutées du XIe siècle avec armoires murales en pierre et un sol pavé en pierres.

Façade de l’une des deux petites ailes médiévales avec parements de granit biseauté et porte en arche.

Les façades des deux petites ailes médiévales, typiques de leur époque, aux parements de granit biseautés et portes en arche, leur donnent une allure austère, alors, qu’au sud, la façade en longueur du logis a été remaniée avec des pierres de parement au XVIIIe siècle, afin de profiter d’une meilleure orientation. La grande salle située à l’étage semble avoir été un réfectoire.

Le prieuré a été remanié au cours des siècles et était devenu siège d’une exploitation agricole au milieu du XXe siècle, avant rachat et restauration par de nouveaux propriétaires à partir de 2015.

Cave du prieuré de Chirat-l’Eglise.

L’église Romane St Pierre et St Étienne, d’origine XI/XIIe siècles

L’église, de plan longitudinal, est un petit édifice roman, formé d’une nef de quatre travées, à transept non saillant, terminée par une abside en hémicycle. Les deux travées orientales et l’abside, qui ouvre par un arc en plein cintre, remonteraient à la fin du XIe siècle. Les deux autres travées sont postérieures. Leurs murs latéraux sont renforcés intérieurement de deux arcades en plein cintre à double rouleaux, entre lesquelles s’élèvent les pilastres destinés aux doubleaux du berceau brisé. Des chapiteaux figurés couronnent ces pilastres.

Le chevet de L’église Saint-Pierre et Saint-Étienne.
L’église Saint-Pierre-et-Saint-Etienne et le monument aux morts. À droite la toiture de l’ancien prieuré. CommonsWikimedia.

Deux chapelles modernes sont accolées au sud de la nef. Au nord, de lourds arcs-boutants ont été lancés à l’époque gothique pour consolider le mur gouttereau. La porte de façade, sans sculptures, s’ouvre dans un avant-corps à deux rampants surmontés d’une croix.

Nef et éléments architecturaux de l’église de Chirat-L’Eglise.

Le clocher rectangulaire, du XIIIe siècle, élevé en avant de l’abside, présente un étage percé sur chaque face de deux étroites baies brisées retombant sur de courtes colonnettes et séparées par un pilastre. Les chapiteaux sont ornés de crochets et les bases serties d’un tore débordant encadré de griffes. Une petite ouverture en forme de losange est ménagée au milieu de chaque face du clocher, au-dessus de l’extrados des baies.

Chapiteaux des pilastres de l’entrée de l’église. Photo CommonsWikimedia.

Projet de hangar photovoltaïque à proximité immédiate du site

Ce patrimoine, n’ayant fait l’objet d’aucune mesure de protection réglementaire alors que celle-ci serait pleinement méritée (a minima pour l’église présentant des éléments du roman primitif et très peu remaniée), est aujourd’hui en passe d’être gravement dénaturée par la construction d’un hangar photovoltaïque gigantesque situé en plein vis-à-vis, remettant en cause les perspectives sur l’ensemble monumental et la qualité de ce site typique de la période romane dans ce secteur rural du Bourbonnais.

La commune dépendant du R.N.U (Règlement National d’Urbanisme), ce sont les services de l’État qui ont autorisé cette implantation avec l’avis favorable de la commune, pourtant propriétaire de l’église.

Plan figurant au permis de construire

En conséquence, le propriétaire du prieuré a introduit un recours devant le Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand en mars 2023, recours conforté par une intervention volontaire de Sites & Monuments. Car, en autorisant ce projet, la préfecture de l’Allier méconnait l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme disposant que " Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales."

Contrairement à la lettre et à l’esprit du texte, la préfecture a fait une interprétation restrictive de cet article en réservant son usage à la défense des seuls sites protégés - ce qui n’est pas le cas de Chirat. Ce texte a pourtant été conçu pour les situations dans lesquelles il n’existe pas de secteurs protégés (abords de monument historique, Site patrimonial remarquable, site inscrit ou classé). Ce texte défend en réalité l’esthétique des sites urbains et naturels en se basant sur des critères objectifs : "situation", "architecture", "dimensions" ou "aspect" de l’ouvrage à édifier.

Or, les dimensions gigantesques du hangar photovoltaïque (77 m x 24,5 m, soit 1848 m², pour 8,39 m de hauteur) et son aspect extérieur sont bien de nature à porter une atteinte irrémédiable au site médiéval de Chirat-l’Église, les perspectives sur cet ensemble étant aussi gravement dénaturées.

La préfecture ayant validé un motif agricole pour cette construction (stockage de fourrage et matériel), ce hangar, en position excentrée par rapport au siège d’exploitation auquel il serait rattaché, pourrait très bien trouver sa place sur les 11 hectares de terrains avoisinant appartenant à l’exploitation, sans générer d’atteinte pour l’église et son prieuré. La couverture en panneaux photovoltaïques des bâtiments agricoles existants et plus éloignés du site serait également possible.

Insertion du projet sur site : présentation du futur hangar photovoltaïque montrant l’atteinte aux perspectives sur l’église et son prieuré. Photo du dossier de demande de permis de construire.

Si l’on suit le raisonnement de la préfecture de l’Allier, 99% du territoire national ne présenteraient aucune qualité susceptible de mettre en œuvre la protection de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme. Peut-on raisonnablement penser que l’ensemble formé par une église du XIe siècle et son prieuré n’est doté d’aucun "caractère" ou "intérêt" ?

La seule "prescription spéciale" assortissant le permis de construire consiste en l’implantation d’une haie bocagère en limite de propriété, d’une hauteur d’1,50 à 2 mètres, alors que le hangar doit culminer à 8,39 m et se trouve en surplomb du site ! Ce "remède" ne sera évidemment pas de nature à diminuer l’atteinte engendrée par l’installation photovoltaïque pour l’église et le prieuré de Chirat.

Florian Denis, adhérent de Sites & Monuments

Notes

[1Andrée et Maurice Piboule, « Mémoire des Pays de la Bosse ».

[2Nicolas de Nicolay, « Description Générale du Bourbonnais en 1569 » ; Andrée et Maurice Piboule, « Mémoire des Pays de la Bosse » et « Le Patrimoine des Communes de France ».