La Maison du Peuple, œuvre mondialement connue des architectes Lods, Beaudoin, Bodiansky et Prouvé, s’insère dans le quartier Victor Hugo-République de la ville de Clichy-la-Garenne. Ce quartier, loti dans les années 1920-1930 est un quartier populaire de centre-ville, désigné aujourd’hui comme le « second centre de Clichy » par les agents immobiliers qui en font l’article. C’est un quartier très dense – le plus dense de la ville de Clichy-la-Garenne de caractère haussmannien. En témoignent sur le plan architectural et environnemental le boulevard du général Leclerc, arboré « à l’ancienne », qui débouche sur la place François Mitterrand-République puis longe le très ancien parc Salengro et surtout les nombreux immeubles environnants dont l’entrée dans ce quartier de centre-ville marquée par un très impressionnant immeuble de sept étages surmonté d’une coupole (Photo 2).
Les immeubles du quartier, notamment ceux qui entourent la Maison du Peuple, ont été érigés entre les années 1920 et 1935, au moment où l’on entreprend d’assainir la « zone » séparant Paris de Clichy. Ils sont pour beaucoup de style art déco, avec des décorations en stuc typiques de l’époque (photos 3 et 4).
Louis-Ferdinand Céline a été médecin au dispensaire qu’on construit alors pour ce même quartier, devant un ensemble d’immeubles érigé lui aussi avec des préoccupations hygiénistes : dans ce dispensaire qui soignera Marc Chagall et avec l’aide de sa secrétaire, il rédige le Voyage au bout de la nuit. Si le dispensaire demeure de l’autre côté du boulevard Victor Hugo en entrée de ville, la Maison du Peuple, elle, se trouve et a toujours été au cœur de ce quartier de centre-ville qu’elle structure et fédère depuis l’origine. Depuis sa construction et jusqu’à une date encore assez récente, la Maison du Peuple accueillait ainsi les cérémonies de remise de prix des écoles adjacentes (le groupe scolaire Victor Hugo, doté d’une école maternelle et de deux écoles primaires). Nombre de Clichois ont encore la mémoire de cet usage social et citoyen de la Maison du Peuple, conforme à sa vocation d’origine (photo 5).
Aujourd’hui encore, malgré l’état de semi-abandon tout à fait déplorable dans lequel a été laissé le bâtiment (rendu inaccessible aux riverains et amateurs d’architecture et d’art, y compris à l’occasion des journées du Patrimoine), la Maison du Peuple conserve son usage de marché, avec le Marché de Lorraine, relancé en fanfare par la municipalité actuelle après les élections, il y a trois ans, et menacé de fermeture imminente pour forage en vue du projet Duval, provisoire dit-on... (photo 6).
Ce marché qui se tient deux fois par semaine les mardis et jeudis n’est pas le principal marché de Clichy. Toutefois, il a des clients fidèles, notamment parmi les riverains les plus âgés et les plus modestes et il fournit aux habitants du quartier les moins capables de se déplacer loin des produits de bouche introuvables ailleurs proposés par une charcuterie, deux poissonneries, trois boucheries, un fromager, un marchand de volailles et plusieurs maraîchers (photo 7). Le projet Duval qui prévoit l’installation d’une « galerie marchande » dépouillée adossée à l’entrée de l’hôtel 4 étoiles (sur l’arrière du bâtiment) ne remplacera en rien le marché offert actuellement aux riverains à l’étage bas de la Maison du Peuple.
Par sa fonction structurante comme par les bâtiments qui l’environnent (classés de fait en centre-ville dans la proposition de révision du Plan Local d’Urbanisme comme dans le PLU actuel), la Maison du Peuple ne relève donc pas de la ‘frange urbaine’ comme le propose cette révision du PLU soumise à enquête publique jusqu’au 4 mai, qui place sans vergogne la parcelle de la Maison du Peuple et elle seule (précédemment classée d’intérêt général en raison du marché, précisément) avec trois zones de ‘frange’ urbaine existantes à Clichy : le quartier du bac d’Asnières et l’entrée de ville côté TGI, en cours de réhabilitation ; et la zone de l’hôpital Beaujon elle-même soumise aux appétits immobiliers. Si ces trois quartiers relèvent bien de l’entrée de ville ou de la frange urbaine, la parcelle de la Maison du Peuple ne saurait en relever, absolument. Qualifier de ‘frange’ – soit d’après le Larousse, « ce qui forme bordure » - une parcelle entourée par du centre-ville est pour le moins osé Mais c’est évidemment ce qui permet ensuite de proposer, sur cette ‘frange’ auto-proclamée au mépris de la loi et du bon sens, d’élever l’édificabilité de 21 mètres à 99 mètres (même les franges urbaines de Clichy n’atteignent pas cette hauteur). Requalifier la seule parcelle de la Maison du Peuple située en plein centre en ‘frange urbaine’ (destinée à recevoir des « pôles d’architecture contemporaine ») : il fallait y penser ! (photos 8 et 9).
Ceci sans étude environnementale à ce jour et sans considération aucune pour l’absence totale de dégagement autour du projet de tour. Deux rues fort étroites à sens unique et moins d’une vingtaine de mètres séparent la Maison du Peuple des immeubles haussmanniens au sein desquels Jean Prouvé et ses amis sont venus la « lover » en 1937. A l’ombre de cette tour haute de 96 m orientée Sud-Ouest, le quartier tout entier sera plongé dans l’obscurité (l’hiver notamment où l’ombre sera projetée jusqu’à 200 mètres de distance) et la Maison du Peuple également ! Toute innovante qu’elle soit (quoique...), l’architecture de dentelle de Rudy Ricciotti ne fera pas de cette tour une tour « transparente » comme des édiles... bien peu éclairés tentent de le faire croire à la population et aux riverains immédiats, légitimement inquiets par la diminution de l’ensoleillement et par les risques structurels présentés par ce projet phallico-pharaonique pour les immeubles environnants.
Ainsi, les croquis présentés dans le projet Duval/Ricciotti sont-ils profondément fallacieux : ils montrent un étage bas de la MPP (actuel marché) inondé de lumière (photo 11) alors qu’étant donné la largeur de la tour (celle de la Maison du peuple elle-même), cet espace sera plongé dans l’ombre de la tour pendant de très longues heures (et avant, et après l’hiver compte tenu de l’extrême proximité des immeubles de 6 étages adjacents). Sur ce point, il est clair (!) que le projet contrevient au projet original et classé, dont le toit ouvrant et l’éclairage zénithal constituent deux points essentiels. (photo 10).
Qu’ils habitent là depuis des dizaines d’années ou qu’ils se soient installés récemment dans ce quartier mixte et paisible, les riverains de la Maison du Peuple sont fortement attachés à l’œuvre de Jean Prouvé et de ses amis, même s’ils n’ont pas toujours conscience de ce que ce bâtiment représente sur le plan architectural et de l’histoire de l’art. C’est d’autant plus vrai que le bâtiment a tristement été laissé en quasi déshérence depuis des années, ouvrant un boulevard aux appétits actuels. Les riverains de la Maison du Peuple souhaitent tous vivement que ce lieu reprenne vie au-delà de sa fonction actuelle à conserver, mais dans le respect de la vocation initiale de la Maison du Peuple et du style de vie du quartier, et après concertation. Ils n’ont à aucun moment été consultés et ont découvert sidérés à la mi-octobre le choix du projet Duval/Ricciotti « labellisé Grand Paris », qui sera financé en grande partie par une société privée. L’enquête publique actuelle n’a été précédée ni accompagnée d’aucune réunion publique ; la seule information dont les gens disposent consistent en des clichés déformant habilement les proportions des immeubles environnants pour diminuer l’impact visuel de la tour ; la consultation se déroule légalement sur une période de 23 jours (dont 2 semaines de vacances scolaires et un pont de mai) ; pour son bilan de mi-mandat et les « perspectives » à venir, le maire propose de rencontrer les habitants du quartier Victor Hugo République.... le mercredi 3 mai veille de la clôture de l’enquête publique !
Le projet Duval/Ricciotti s’auto-désigne comme un « signal » pour la Ville. Elle dialoguerait, nous dit-on, avec la tour du Palais de Justice sa voisine. Que les tours dialoguent, c’est bien ; que les hommes dialoguent, c’est mieux, et on voit mal comment ce serait le cas dans la ‘halle permanente’ et dépouillée, plongée dans l’ombre de la tour et conçue comme l’antichambre de l’hôtel quatre étoiles sis à l’arrière du bâtiment. Ce qui est certain, c’est que le projet, pas plus que ses concepteurs, ne dialogue ni n’ont dialogué avec les riverains immédiatement concernés. Ainsi le signal, s’il en est un, est celui d’une négation du « peuple », du reste explicitement exprimé à l’occasion de la table-ronde de Suresnes par l’architecte des Monuments Historiques défenseur du projet, M. Jacques Moulin. « Le peuple, ça n’existe plus », a-t-il déclaré publiquement.
Or la Maison du Peuple est classée, à commencer par son nom qu’on voudrait effacer au profit de celui d’un « Pôle d’architecture contemporaine » et le rapport au peuple fait partie intégrante du patrimoine matériel et immatériel de cette Maison. Le quartier qui l’abrite et qu’elle structure est populaire et entend le rester, c’est-à-dire accessible, ouvert à toute forme de culture et de discussion (photo 12).
L’Association Quartier Maison du Peuple récemment créée défendra la Maison du Peuple et les intérêts individuels et collectifs des riverains contre ce projet et travaillera à la valorisation de la Maison du Peuple et à la promotion de toute initiative la concernant.
Association Quartier Maison du Peuple, adhérente à Sites & Monuments
43 rue Klock 92110 Clichy
quartiermaisondupeuple@laposte.net
Pour en savoir plus
Le dossier de l’enquête publique a été mis en ligne. Vos observations peuvent être déposées jusqu’au 4 mai 2018 sur le site internet suivant :