Victoire à Tours : les arbres du boulevard Béranger définitivement sauvés !

Perspective du boulevard Béranger en direction de l’Est. Photo M. Bonnin-Sites & Monuments.

Le boulevard Béranger est une artère boisée remarquable qui marque la frontière entre le Vieux-Tours au nord et le quartier Grammont-Prébendes au sud. Il est situé dans le Site Patrimonial Remarquable (SPR, anciennement secteur sauvegardé) de la ville de Tours et soumis au Règlement et aux Orientation d’Aménagement et de Programmation (O.A.P.) du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), qui sont opposables. Ce site est aussi inscrit au Patrimoine mondial par l’UNESCO en tant qu’élément constitutif du « Paysage culturel vivant » ligérien. Cette inscription lui reconnait une Valeur Universelle Exceptionnelle (V.U.E)

En 2017, un projet de réalisation d’une seconde ligne de tramway (ligne B) a été annoncé par les élus de la ville de Tours. Dès novembre 2017 une pétition est lancée. Le tracé prévu utiliserait en partie celui de la ligne A (uniquement en centre-ville) et emprunterait le boulevard Béranger après son passage par le début du boulevard Heurteloup.

Le boulevard Béranger, mail arboré depuis le début du XVIIe siècle, serait dans ce cas durement impacté par ce projet de la ligne B et des tourangeaux se réunissent pour s’opposer à la destruction programmée de ce lieu chargé d’histoire.

Des associations leur emboîtent le pas et se mobilisent, dont Sites & Monuments. Mais il aura fallu quatre années et demie de combats, trois expertises successives du système racinaire des arbres et beaucoup de persévérance pour convaincre les élus de la mairie et de la Métropole de renoncer à porter atteinte à cet ancien mail en faisant passer plus au sud cette deuxième ligne de tramway. (Le détail de ce combat est développé en fin d’article).

L’histoire du boulevard Béranger.

En 1592, pour prévenir contre les dangers de conflits intérieurs, Henri IV entreprend de fortifier la ville étendue à ses faubourgs. Jacques-Androuet du Cerceau, architecte du roi, conduit les travaux qui seront poursuivis par Isaac François, voyer de Touraine, jusqu’en 1641.

« Tours et ses Environs », plume et lavis, attribué à Tonon de Rochefou, vers 1670.
Bibliothèque Municipale de Tours, manuscrit 1200, pièce 21.

La carte de « Tours et ses Environs » attribuée à Tonon de Rochefou, vers 1670, présente la ville longée par la Loire au Nord avec ses anciennes fortifications reconstruites et prolongées par les nouvelles fortifications à l’Est, à l’Ouest et au Sud. Sur les fronts Ouest et Est, courtine et bastions sont maçonnés très tôt tandis que les remparts du front Sud sont construits en terre dès le départ et certains bastions ne seront jamais maçonnés ni terminés (représentés par des traits hachurés sur le plan ci-dessus), tous entourés de douves en eau.

Simultanément le « mail » ou « pail mail » ou « jeu de mail » est planté en 1603 et 1604 au pied des remparts intra-muros qui forment les limites méridionale et mi septentrionale de la ville. Dès l’origine le mail se compose de quatre alignements d’arbres : deux alignements internes d’arbres laissant place à une large allée centrale réservée à la promenade et au jeu de mail d’environ 9 à 10 mètres de largeur (4 toises 1/2) espacés d’environ 2,3m (7 pieds) des deux alignements extérieurs dont les arbres sont plantés en quinconce par rapport aux premiers (Série DD2, Archives Municipales de Tours).

Pour les plantations, on choisit des « ormeaulx » qui seront « feuillus des plus beaux et de la plus belle vue que faire ce pourra ». L’entrepreneur creuse des fosses dans lesquelles est déposée de la bonne terre extraite des fossés extérieurs des remparts et ensuite de larges trous de 1,30 mètre (4 pieds) avant la plantation. Il devra soigner les arbres durant quatre années et bêcher autour des pieds.

En 1677, lorsque certains arbres des bastions sont replantés sur la grande allée, le corps de ville est obligé d’instituer un tour de garde pour surveiller les nouveaux plants par crainte d’être volés !

De 1677 jusqu’au XIXe siècle, un certain nombre d’ormeaux (ou ormes) sont régulièrement renouvelés puis en 1865 le choix se porte sur des érables, définitivement remplacés par les platanes depuis un siècle.

Vue de Tours en ballon, lithographie d’Adolphe Cuvillier vers 1847, reprise en couleur
par Guesdon en 1863. Photo Arsicaud, Société Archéologique de Touraine.

Le « grand mail » s’étend sur une longueur de 2,2 kilomètres, soulignant la bordure méridionale de la ville « véritable saignée verte dans le grand paysage urbain » comme le montre la « Vue de Tours en ballon » lithographiée en 1847 à la limite Sud de la ville (à droite).

Très vite, le grand mail est remarqué par les voyageurs. En 1610, l’allemand Just Zinzerling fait « l’éloge de belles promenades qui avoisinent certaines villes et, où toute la population afflue, se promène, joue et danse au beau jour de l’été : le mail à Tours…  ». En 1615, Balthazar de Monconys remarque « le plus beau mail de Tours ». Ces mails sont comparés à des « murailles vertes » par Jean de La Fontaine. Un siècle plus tard, lors de son passage à Tours, Arthur Young dit « qu’il y a une belle promenade longue et admirable, ombragée par quatre rangées de superbes ormes très élevés qui, comme abri contre le soleil brûlant, ne peuvent rien avoir de supérieur… ». Balzac, dans Sténie, évoque « une magnifique promenade, lieu de rencontre et d’échange ».

Sous l’impulsion de son intendant Daniel-Charles Trudaine, Louis XV décide de tracer une route vers l’Espagne traversant la ville de Tours dans son axe central nord-sud. Ces grands projets urbains vont changer l’aspect de la ville par la construction du pont de pierre sur la Loire et le percement de la nouvelle rue Royale terminée en 1788.

Plan de la place de la ville par la route d’Espagne en 1781.
Photo Arsicaud. Archives Municipales de Tours.

Le « plan de la place de la ville par la route d’Espagne » de 1781 témoigne du projet d’une place en hémicycle au débouché de la rue Royale dont le prolongement constituera « la place dite des portes de fer » en raison des portes installées pour le paiement de l’octroi au sud de la ville.

C’est à cette époque que le grand mail est scindé en deux parties, le mail allant vers l’ouest, appelé le grand mail et plus tard le boulevard Béranger et le mail allant vers l’est, dénommé le petit mail [1] pour devenir le boulevard Heurteloup en 1841.
Depuis le mail, des rampes d’accès à la courtine et aux petites tours de guet étaient encore visibles.

Dessin ou gravure du Palais de justice vers 1850. Bibliothèque Municipale de Tours.

Dans la première moitié du XIXe siècle on aménage cette place par la construction d’un Palais de justice dans un style néo-classique (1840-1843) et d’immeubles en hémicycle se prolongeant au début de chaque boulevard, dont les baies reprennent le même répertoire iconographique que celui de la rue Royale.
On aperçoit à gauche l’entrée du boulevard Béranger délimité par des bornes, au centre les deux bassins octogonaux et au fond l’entrée du boulevard Heurteloup.

Cette place a été agrémentée par des bassins et fontaines entourés plus tardivement d’espaces verts, de bornes de pierre les délimitant ainsi que les boulevards. Au début du XXe siècle, l’Hôtel de Ville remplacera l’ancienne manufacture de soieries à l’angle de la rue Nationale (ancienne rue Royale) et de la place du Palais (place Jean-Jaurès).

Place du Palais de Justice et entrée du boulevard Béranger en 2022.
Photo M. Bonnin Sites & Monuments.

Un point sur l’évolution du projet de la ligne B du tramway

En 2018

  • L’annonce par la municipalité du projet de construction de la ligne B du tramway, avec un passage par le centre-ville et les boulevards Heurteloup et Béranger, suscite des inquiétudes auprès des habitants.
  • Le 29 octobre 2018, la délégation de Sites & Monuments adresse un courrier au maire de Tours mettant en garde contre l’atteinte aux protections du Site Patrimonial Remarquable. Ce courrier est suivi d’une "lettre ouverte" adressée au président de Tours Métropole et à tous les élus le 3 décembre 2018.
  • Cette même année, une étude est réalisée pour expertiser les impacts potentiels qu’auraient les travaux de terrassement sur les racines des platanes des deux boulevards par l’ADRET de Toulouse. Le rapport de cette étude, (qui ne sera communiqué qu’en 2019), est très alarmant : Le creusement d’une plateforme de 1,20 mètre serait fatale au système racinaire des arbres de ces boulevards.
  • Une concertation auprès des Tourangeaux est lancée pour choisir entre un passage par Béranger ou Jean Royer.
Carte de concertation, « 2ème ligne de tramway, Exprimez-vous . »
Extrait brochure Tours métropole Val de Loire,2018.

La carte de concertation met en évidence les deux trajets proposés : le trait plein vert correspond au tracé des boulevards Heurteloup et Béranger, le trait en pointillé vert au boulevard Jean Royer et le trait fin rouge à la première ligne de tramway.

Le résultat de cette étude est équivalent pour chaque tracé ce qui confortera la mairie dans son premier projet (maintien du passage par les boulevards Béranger et Heurteloup).
Le projet est définitivement voté à la fin de cette même année par le Conseil municipal et suivi par la Métropole.

En 2019 :
La délégation Sites & Monuments, le Collectif Pro-Royer et l’AQUAVIT (Association pour la qualité de vie à Tours) continuent leur combat et obtiennent de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) les rapports d’expertises d’études racinaires menées en 2018 ainsi que le résultat de la concertation au cours de laquelle les Tourangeaux s’étaient prononcés au 2/3 des voix pour un passage par le boulevard Jean Royer. Ce résultat confirmait celui de la pétition pour le boulevard Jean Royer qui n’a cessé de grandir pour aboutir à 4.337 signatures à l’arrêt du projet en 2022.

Mais le climat politique n’est pas propice à une remise en cause du projet initial. En cinq ans, trois maires et trois présidents de la Métropole se sont succédés et le poste de l’ABF en charge du dossier, nommé directeur de l’urbanisme à la Métropole en janvier 2019, est resté vacant durant six mois.

Boulevard Béranger et son marché aux fleurs. Photo M. Bonnin, Sites & Monuments.

En 2020 :
Notre vigilance avec le Collectif Pro-Royer ne faiblit pas et notre lutte avec l’AQUAVIT [2] ne cesse de grandir en même temps que notre inquiétude face à cette situation qui n’évolue pas.

La nouvelle municipalité écologiste organise un nouveau vote sur le tracé en novembre. Le passage par le boulevard Heurteloup est abandonné, c’est une première victoire mais en contrepartie le futur trajet prévoit d’utiliser celui de la ligne 1 jusqu’à la place Jean Jaurès puis bifurquer vers le boulevard Béranger au niveau des fontaines.
A la suite de ce vote, la délégation de Sites & Monument interpelle par écrit le maire pour lui demander : "Au cas où une deuxième expertise confirmerait le résultat catastrophique de la première, abandonnerait-il le projet ?"
Réponse de "Monsieur ARBRE" de la ville : "Des mesures compensatoires sont prévues et la mairie reste vigilante"

Les deux projets de tracé de la ligne B du tram.

La refonte totale de la place, en commençant par la suppression des fontaines et de la végétation alentour, n’est pas envisageable. L’avenir arboré des boulevards est indissociable de l’avenir végétal de la place Jean Jaurès (situé entre les deux boulevards) qui devrait subir une restructuration complète avec ce nouveau tracé. Les Tourangeaux sont très attachés à ce site emblématique de la ville.

De plus, notre surprise est totale lorsque nous apprenons que les deux rames de tramway passeront sur la rive nord du boulevard (la plus étroite) où il est prévu d’abattre plus d’une cinquantaine d’arbres (35 des deux alignements extérieurs, en plus de ceux situés au niveau des deux stations de tramway). La ville, qui ne réalise pas que le boulevard Béranger fait partie intégrante de l’ancien mail, propose des mesures compensatoires, tout en déclarant qu’elle sera vigilante sur les conséquences du passage du tram sur le système racinaire des arbres.

En janvier 2021 :
Les forces vives d’opposition au projet, associées au GNSA, se rassemblent et créent l’ASPAAT (Association de Sauvegarde du Patrimoine Arboré et Architectural Tourangeau) (voir l’article de Tribune Hebdo) qui formule très rapidement un recours gracieux auprès du maire pour faire annuler la décision du conseil municipal. Ce recours restera sans réponse. [3]

De nombreuses actions sont mises en place (recours aux médias, site internet de l’association, distribution de flyers sur le marché aux fleurs et dans ses environs, constat d’huissier durant la deuxième expertise sur les mauvaises conditions de dégagement du système racinaire, courriers à la DRAC, l’UDAP, la DREAL, aux ministères concernés, au maire et à son adjointe chargée de la biodiversité etc. Mais le dossier n’avance pas.

En désespoir de cause, Sites & Monuments adresse un courrier à la préfète d’Indre-et-Loire le 21 avril 2021.

En septembre et fin novembre 2021, de nouvelles expertises commandées par la mairie sont réalisées. Elles seront décisives pour la réflexion finale.
À la suite, l’AQUAVIT, publie un livre « Arbres ou tram, il faut choisir » largement diffusé aux élus, mis en vente au public et consultable sur le site de l’association.

Au début de l’année 2022 :
Le maire fait une déclaration au conseil municipal en ces termes « Je ne laisserai pas le tramway défigurer notre ville… ».

A partir de ce moment une partie de la bataille est gagnée. Nous nous adressons alors au président de la Métropole. Son avis est favorable au retrait du projet sous réserve de l’obtention du consensus des vingt-deux maires de la métropole.

Entrée du boulevard Béranger par la place Jean Jaurès.
Photo M. Bonnin Sites & Monuments.

Nous avons eu connaissance d’un récent courrier de la préfète d’Indre-et-Loire dans lequel elle déclare que l’État n’est pas favorable au projet car le permis d’aménager ne peut être délivré par l’ABF au vu des contraintes juridiques du PSMV. Cette décision met fin à cette rude bataille patrimoniale.

L’arrêt définitif du projet est voté par le conseil municipal et par le conseil métropolitain à la fin du mois de juin 2022.

Cette deuxième victoire est l’expression de la reconnaissance de la valeur historique et patrimoniale des boulevards qui, espérons-le, restera pérenne quant au projet d’une troisième ligne de tramway.

Au final la Mairie et la Métropole viennent de déclarer que la deuxième ligne de tramway empruntera le boulevard Jean Royer ! Ironie du sort, nous retournons à la case départ, mais déjà se crée un collectif pour s’y opposer…

Martine Bonnin, déléguée régionale et départementale en Indre-et-Loire de Sites & Monuments.

Notes

[1Pierre Leveel, « Tours en 1900 », 1977, CLD.

[2AQUAVIT a remporté le prix du concours « Allées d’arbres » de Sites & Monuments 2020.

[3Un autre collectif composé de plusieurs personnalités tourangelles ayant eu pour la plupart des responsabilités municipales œuvre dans le même sens.