Visite de Roubaix et de ses deux quartiers menacés

En mars 2025, la délégation Hauts-de-France de Sites & Monuments avait organisé pour les adhérents un parcours de visite dans Roubaix, en particulier dans deux quartiers promis à la démolition, l’Alma-gare et l’Épeule. La mobilisation s’est poursuivie au mois de mai à l’occasion de deux réunions portant sur l’Alma-gare :
 le 5 mai, réunion publique avec la municipalité. Ce fut un fiasco. Prévenus seulement quatre jours à l’avance, plus de 150 habitants ont exprimé leur colère face aux représentants de la mairie.
 Le 7 mai, visite de la commission « Aménagement du territoire » du CESER (Conseil économique, social et environnemental régional) : une rencontre enrichissante, avec des personnes aux compétences multiples, issues du monde patronal, associatif et syndical, qui ont permis de nourrir les échanges autour du projet et de nos orientations alternatives. Ils étaient également venus travailler sur les « nouvelles pratiques de l’aménagement ». Un constat s’est imposé : la rénovation urbaine telle qu’elle est menée à l’Alma est exactement ce qu’il ne faut pas faire. Ils sont repartis avec des réponses concrètes à leurs nombreuses interrogations.
Les habitants étaient au rendez-vous pour faire entendre leur voix. Jeunes, moins jeunes, anciens ont démontré que l’Alma-gare est une vraie famille !

Visite de la ville de Roubaix
Samedi 29 mars 2025
Thierry Baert, Bernard Toulier et Anne de Cherisey, respectivement délégué adjoint Nord, administrateur S&M et déléguée régionale Hauts-de-France

Le rendez-vous est fixé en gare de Roubaix : Thierry Baert, délégué adjoint pour le Nord, urbaniste et président de l’association « métropole-label.le » accueille notre groupe d’une quinzaine de personnes et nous présente le programme de la journée.

9h40 : Le quartier de l’Alma-gare.
Thierry Baert nous en raconte l’histoire et l’urbanisme, puis Florian Vertriest, président du collectif de défense du quartier, nous expose le programme de démolition de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine).

Quartier de l’Alma-Gare

Dans les années 1970 à 1976, les habitants et les associations se regroupent en un atelier public d’urbanisme, précurseur en matière de concertation sociale, afin d’élaborer le projet d’un quartier où le voisinage et la vie pourraient s’épanouir.

Les immeubles sont bâtis principalement sur trois étages, reliés par des coursives et des jardins communs comprenant des places à l’abri de la circulation.
Leur structure en béton est recouverte de briques ornementées et bénéficie de larges ouvertures.

Mais l’Alma, nouvelle génération d’habitat et de mixité sociale, n’aura pas le succès escompté et les immeubles seront progressivement délaissés.

Quartier de l’Alma-Gare

La construction de l’Alma-Gare fut une traduction annonciatrice de la recherche d’un style européen en rupture avec l’architecture des grands ensembles et de l’évolution vers des opérations de recomposition du tissu urbain. Elle reprend, selon la revue AMC (Architecture Mouvement Continuité), l’esprit du manifeste pour « La reconstruction de la ville européenne » de Maurice Culot et Leon Krier, exigeant de l’urbanisme qu’il réalise « ce qui toujours fut la ville, à savoir : des rues, des places, des avenues, des îlots, des jardins… soit des « quartiers ». Elle rompt avec les codes de l’architecture moderniste et privilégie des références à l’architecture traditionnelle de la ville de Roubaix (gabarit, briques, toitures…). Elle intègre des innovations et parfois des ornements (dessins des appareillages de briques, brique vernissée, totems …). Elle constitue une opération exemplaire du dialogue élus-habitants-techniciens pour co-produire la Ville.

Le concours “maisons de ville” en 1979, organisé par les plus importants bailleurs sociaux de la métropole lilloise, s’est inspiré de l’expérimentation pilote en cours à l’Alma-Gare. Il s’agissait d’acter la rupture avec l’urbanisme des grands ensembles et de renouer avec la ville existante. On a retrouvé ensuite le vocabulaire architectural de l’Alma-Gare dans de nombreuses opérations en région et au-delà.

L’opération a été lauréate du concours de l’Institut national du logement de la région Wallonne en Belgique. Elle a été retenue par le ministère de l’Équipement et du logement français comme l’un des quatre exemples significatifs et remarquables d’architecture, d’urbanisme et d’aménagement en France dans le domaine du logement pour la seconde moitié du XXe siècle.

Elle a été sélectionnée en 1980 par le ministère de l’Environnement et du cadre de vie pour participer à l’exposition « Construire en quartier ancien » qui a été́ présentée au Centre Pompidou, à la Biennale de Paris et au Fort Mason Canter à San Francisco (USA). Elle était au cœur de l’exposition du Plan Construction présentée à différents congrès HLM (Marseille, Paris, Nantes, etc.). Une exposition monographique a même été organisée à l’Institut français d’architecture à Paris au printemps 1982. L’Alma-Gare a par ailleurs fait l’objet d’innombrables publications tant dans les médias professionnels que pour le grand public.

Cet ensemble, dans sa relative diversité, constitue donc un témoignage unique du renouveau de la pensée urbaine et de l’architecture de l’habitat en France et en Europe dans le quatrième quart du XXe siècle. Il constitue une référence dans l’enseignement des architectes, urbanistes et des sociologues.

Sa démolition dans le cadre de la future rénovation urbaine constituerait donc une atteinte grave au patrimoine historique de la ville de Roubaix, mais plus largement à celui de la région et de la France. Le projet prévoit en effet la destruction de 450 logements et la construction de 400 autres, pour un budget global estimé à cent-trente millions. Un programme de réhabilitation serait de l’ordre de soixante-dix millions et ne poserait ni problème technique ni surcoût financier. La conception initiale des immeubles rendrait aisée leur adaptation aux normes actuelles de confort et de performance énergétique. Ils ne demandent donc - à court ou moyen terme du moins - que des travaux de remise en état.

Une demande d’inscription au titre des Monuments historiques demandée par Métropole-label.le est en cours, mais ne bloque pas le programme de démolition.

Ce crime contre le patrimoine, un slogan que l’on voit désormais fleurir sur les murs de la ville de Roubaix, s’accompagne de pratiques contestables. Qu’en est-il de la publication du rapport justifiant la démolition, l’appel «  disproportionné  » à la force publique pour sécuriser le chantier et une concertation limitée à des partenaires choisis par les élus ? Il est regrettable que l’ANRU mette beaucoup plus d’argent sur la table pour les démolitions que pour les réhabilitations. Désormais, le collectif de défense mène un combat total, citoyen, politique, médiatique et judiciaire, à l’exclusion de toute forme de violence. Plusieurs actions administratives ou judiciaires sont toujours en cours. À un an des élections municipales, le dossier de l’Alma s’impose comme un test.

Quartier de l’Alma-Gare

10h15 : L’église Saint-Joseph

Visite guidée par Marie-France Jaskula, présidente de l’association des Compagnons de Saint-Joseph.

La nef de l’église Saint-Joseph

L’église Saint-Joseph, édifiée en 1878 est inscrite au titre des Monuments historiques en 1992 et classée en 1993.

Elle est l’œuvre de l’architecte Jean-Baptiste Béthune à qui l’on doit également le couvent des Clarisses de Roubaix inscrit Monument historique en 2010.

De style néo-gothique, elle présente une façade en briques. Le décor intérieur a été réalisé par le peintre Guillaume Deumens et les vitraux du chœur proviennent des ateliers parisiens du fils de Claudius Lavergne. Le vitrail du Rosaire provenant des ateliers Stalins-Janssens d’Anvers a obtenu une médaille d’or à l’exposition universelle de Paris de 1889.

Cette église est intimement liée au passé industriel de Roubaix avec le percement du canal de Roubaix non loin, en 1873 : de nombreuses usines s’installent dans le quartier de l’Alma, et la main d’œuvre afflue, de France et de Belgique. La décision est prise de bâtir toute une paroisse pour ces familles ouvrières, avec écoles, patronage, théâtre et bien sûr, une église : Saint-Joseph, achevée en 1878.

Les fresques, entièrement réalisées par le peintre hollandais Guillaume Beumens, sont spectaculaires. Elles sont pensées pour être une leçon de catéchisme captivante : dans le chœur, des personnages de l’Ancien Testament ; une procession de saints sur tout le tour de la nef centrale et, près de l’autel, les douze prophètes et sainte Anne... et même une allusion au monde industriel avec des cheminées d’usines en décor de scènes bibliques.

Dans les années 1990, l’église, est gagnée par l’usure du temps : des infiltrations ont fragilisé sa toiture, son clocher menace de tomber, les charpentes et les lambris sont la proie de champignons et ses décors peints endommagés par l’humidité. C’est l’association des Compagnons de Saint-Joseph qui lance l’alerte. L’État et les collectivités territoriales, au rang desquelles la ville de Roubaix, prennent le relais. Trois campagnes de restauration vont se succéder :
 d’abord, entre 1997 et 2001, réalisation de travaux d’urgence de drainage et d’étanchéité de la toiture. Cette première campagne implique la Ville et l’État.
 Ensuite, de 2009 à 2011, restauration des vitraux du chœur et des transepts qui avaient été déposés en 2007. Cette deuxième campagne lancée par la ville de Roubaix est soutenue par l’État, le département du Nord et des mécènes.
 La dernière campagne, engagée par la ville de Roubaix en 2014 et qui s’est achevée en 2020, est de loin la plus importante. Ce chantier colossal, qui a nécessité de fermer l’église, a permis de mener à bien la rénovation complète du bâtiment, incluant la toiture, les charpentes, les façades, les 2 600 m2 de décors peints, les derniers vitraux et les luminaires.
L’ensemble des travaux de restauration a été conduit par Vincent Brunelle, architecte en chef des Monuments historiques du Nord, et Pascal Dupuis, métreur vérificateur.

11h15 : Parcours-découverte le quartier de l’Épeule
Visite commentée par Thierry Baert

Ce quartier promis à la démolition a été sélectionné dans le cadre du programme Europa Nostra 2024 "Les sept lieux européens les plus en danger"

L’épeule était une étape du traitement de la laine consistant à éliminer des restes de paille et végétaux accrochés à la fibre.

Le quartier présente aujourd’hui une série de cours similaires à l’habitat rural des manouvriers du XVIIIe siècle, jusqu’aux « choques », maisons identiques à étage construites à l’apogée de l’essor industriel de Roubaix. On accède à ces courées par la rue de l’Épeule grâce à d’étroits couloirs qui ne correspondent plus aux normes de sécurité.

Ces lieux étaient des points de rendez-vous pour l’embauche. Les logements servaient d’ouvroir pour le tissage au rez-de-chaussée ou dans une chambre éclairée au premier étage. Sans ces courées, il n’y aurait pas eu ces nombreuses fabriques. Les maisons sont en brique, les tuiles ont remplacé le chaume des plus anciennes, permettant de créer une chambre éclairée à l’étage. Des rénovations ont été réalisées en 2006.

L’ANRU a pour objectif de supprimer ce quartier (voir notre article). Les permis de démolir sont accordés. Depuis l’annonce du programme de démolition, l’entretien n’est plus assuré et, à ce stade, aucune concertation n’est possible. La destruction de ces courées donnerait en effet de la « fraîcheur » autour d’autres bâtiments !

12h00 : L’église du Saint-Sépulcre

Visite commentée par le Père Antonio Polito

Construite dans le troisième quart du XXe siècle dans le quartier de l’Épeule, l’église du Saint-Sépulcre appartient à un style architectural légèrement "brutaliste". Sa demande d’inscription au titre des Monument historiques, déposée par l’association Métropole-label.le, est en cours.

L’église du Saint-Sépulcre

L’ancienne église, vétuste, datant de 1870-1873, a été démolie en 1961. La Commission des églises de Roubaix est chargée, par un accord entre la commune, propriétaire de l’église, et l’évêché de Lille, d’assurer le suivi du projet de construction d’un nouveau lieu de culte. Un concours d’idées est lancé en 1959. Les architectes roubaisiens Luc Dupire et Marcel Spender en sont lauréats.

L’église en brique est édifiée en 1961-1962. De plan rectangulaire, elle comprend un porche, un narthex entouré d’une chapelle et des fonts baptismaux, ainsi qu’une nef d’une capacité de 800 places.

Au chœur sont accolées une entrée secondaire, les sacristies et une chapelle de semaine pouvant s’ouvrir largement sur le sanctuaire. Une flèche élancée couronne un campanile translucide situé au-dessus de l’autel, éclairant l’autel d’un jour zénithal. Les vitraux sont réalisés par la société Six-Sicot.

14h30 : La Piscine - Musée d’art et d’industrie (après une pause déjeuner)

L’Exposition Rodin-Bourdelle nous est présentée par Antoinette Le Normand Romain, conservatrice générale honoraire du patrimoine

La Piscine - musée d’Art et d’industrie

L’ancienne piscine municipale de Roubaix, construite par Albert Baert entre 1927 et 1932 dans un style Art Déco, est réhabilitée en musée en 2001, puis agrandie en 2018 par Jean-Paul Philippon. La Piscine possède une riche collection de peintures, sculptures et céramiques, textiles et modes dans un lieu considéré pendant plus de cinquante ans comme la « plus belle piscine de France ».

De maître à élève, une relation artistique forte : Bourdelle, de vingt ans le cadet de Rodin, a d’abord été son praticien - il taillait le marbre pour son aîné - puis il s’est émancipé pour imposer sa propre vision artistique. Leur relation oscilla entre admiration, rivalité et complémentarité, créant un dialogue sculptural passionnant que cette exposition met en valeur.

16h00 : Visite libre du musée

 
Anne de Cherisey, déléguée régionale de Sites & Monuments pour les Hauts-de-France

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