À Voisins-le-Bretonneux (Yvelines), l’école du Bois de la Garenne, bâtiment conçu dans le milieu des années 70 par l’architecte Jean-Claude Bernard (1930-), risque d’être démolie pour être remplacée par un complexe immobilier.
Voisins-le-Bretonneux fait partie de l’agglomération de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. Dans les années 70, pour faire face à l’augmentation de sa population, une école maternelle et primaire est construite dans chacun des six quartiers de Voisins. Dans celui du « Plan de l’Église », c’est l’architecte Jean-Claude Bernard, Premier Grand Prix de Rome en 1960 et architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, qui conçoit le groupe scolaire du Bois de la Garenne dont la construction est achevée en 1978. Il comprenait une école maternelle de quatre classes et une école primaire de douze classes ainsi qu’un CLAE (Centre de Loisirs Associé à l’Ecole).
Une nouveauté architecturale en lien avec une nouvelle approche pédagogique
À partir du milieu des années 1960, les pouvoirs publics engagent des réformes en matière d’éducation visant à s’adapter à la transformation de la société et à favoriser l’épanouissement de l’élève. L’architecture scolaire va s’inscrire dans ce mouvement, à contre-courant des modèles industrialisés. « Des écoles en rez-de-chaussée [...] avec des espaces aménagés pour permettre aux enfants de se déplacer librement » sont préconisées par l’Etat. Jean-Claude Bernard [1] va intégrer ces consignes « tout en découpant volumes et toitures pour donner à l’ensemble l’image d’un village à l’échelle des enfants » (fiche Docomomo).
L’association Docomomo France a publié sur son site internet une première fiche d’inventaire de cet établissement menacé de démolition : « L’école est ainsi composée de « quatre maisons » regroupées autour d’un patio central ». « La structure du bâtiment est en bois lamellé-collé, matériau choisi pour sa chaleur et la souplesse de mise en œuvre, mieux adapté au contexte du quartier et au projet pédagogique et social porté par l’école. Les plis accentués de la toiture animent le profil du bâtiment tout en permettant la création de surfaces vitrées en hauteur, qui soulignent le rôle fédérateur des préaux et abris et facilitent la lisibilité de l’articulation des espaces. Le traitement des murs séparatifs et écrans en brique est enrichi par l’intervention du sculpteur Pierre Nicouleau, dans le cadre du 1% consacré à la réalisation d’œuvres d’art spécialement conçues pour l’école ».
Une école fermée et une réhabilitation écartée
En 2022, la mairie de Voisins-le-Bretonneux acte la désaffectation de l’école et sa fermeture programmée pour la rentrée 2023. Très rapidement, elle engage, dès mars 2023, une phase de concertation sur le devenir du site et met en place un comité de pilotage. La conservation du bâtiment ni sa réhabilitation - du fait d’un coût jugé trop élevé - ne sont envisagées, d’autant que, dans une newsletter de la mairie publiée en juillet 2023, il est écrit « … Si le bâtiment fait partie de nos vies depuis des décennies, il n’en demeure pas moins que sa qualité architecturale reste discutable ». Rappelons que l’école du Bois de la Garenne a contribué à construire l’identité de la ville nouvelle, si caractéristique des années 70, et présente un intérêt patrimonial et architectural que le passage du temps ne fera qu’accroitre.
À Voisins-le Bretonneux, la Maire a fait de la construction de logements sociaux une priorité. Elle souligne que c’est également une obligation puisque la loi SRU impose une part de 25% de ces logements par ville. Et la municipalité justifie son choix du fait du manque de foncier disponible. Enfin, elle rappelle que la baisse des effectifs d’élèves ne permet plus de faire fonctionner l’établissement qui, de plus, ne répond pas aux objectifs de performance énergétique. Tous ces arguments sont entendables mais il est incompréhensible que l’intégration de la conservation du bâtiment dans le projet n’ait jamais été envisagée.
Une mobilisation et des recours
La perspective d’une démolition de l’école a suscité l’émoi de parents d’élèves et de riverains mais également de nombreux Vicinois. Si en 2022, un premier recours contentieux contestant la désaffectation de l’école et la modification de la carte scolaire, introduit par trois habitants de Voisins, est rejeté par la juridiction administrative, la mobilisation ne faiblit pas et des associations, « Les Amis du Plan de l’Église » (créée en mars 2024) et l’ADHAVE (« Défense des Habitants de Voisins et leur Environnement »), engagent de nouveaux recours pour sauvegarder l’école.
Suite au vote d’une délibération en septembre 2023 portant sur la désaffectation et le déclassement du domaine public du site, une riveraine et l’ADHAVE adressent un recours gracieux en novembre à la mairie qui, un mois plus tard, retire la délibération. Et pour cause, l’article L 141-3 du Code de voirie routière impose une enquête publique dès lors qu’un élément de voirie (parcelle du parking public) est concerné par le déclassement. Or, cette enquête publique n’a pas eu lieu.
Quelques mois plus tard, l’association « Les Amis du Plan de l’Église » et un riverain adressent un recours gracieux à la municipalité puis le 20 juin 2024, introduisent un recours contentieux auprès du tribunal administratif de Versailles contre une nouvelle délibération relative au déclassement du domaine public communal et à la désaffectation de l’école, adoptée en mars 2024. Sans attendre, le conseil municipal du 24 juin vote pourtant une délibération habilitant la Maire à déposer pour le compte de la commune un permis de démolir. L’association et un riverain engagent un recours contentieux en août 2024.
Dans le même temps, quatre projets sont présentés (les opérateurs sont Bouygues Immobilier, IDéel, Nexity et Ogic) dans le cadre d’une exposition en mairie et sur son site internet puis devant le comité de suivi en mars et au public en avril 2024. Le 4 juillet 2024, la municipalité annonce que le projet « Voisinage » de Nexity est retenu pour réaliser la construction du futur complexe immobilier qui comprendrait 115 logements dont 35 en locatif social, 24 en BRS (Bail réel solidaire), le reste en achat direct. 167 places de parking et 10 en sous-sol sont également prévus. Durant la période de concertation en 2023, dans un article d’Actu78 de mai 2023, la journaliste Manon Varaldo écrivait : « Concernant les remarques récurrentes, les participants ont martelé leurs souhaits de ne pas voir d’usine, de cuisine centrale, et ne pas voir construire de logements supplémentaires ».
Enfin, en décembre 2024, avec un riverain, l’association « Les Amis du Plan de l’Église » introduit un nouveau recours contentieux, cette fois-ci contre la modification cadastrale qui a eu lieu au printemps.
Lors d’une réunion publique qui s’est tenue en janvier 2025, le promoteur Nexity est venu présenter son projet annonçant un début des travaux en 2026. Enfin, en février 2025, le conseil municipal a autorisé la Maire à procéder à la cession de la parcelle cadastrée (ancien groupe scolaire) … à Nexity. À ce jour, aucun permis n’a été déposé.
Un label Architecture contemporaine remarquable "envisageable"
La perspective de la destruction de ce patrimoine a suscité de nombreuses réactions dont celle, et non des moindres, de l’architecte Jean-Claude Bernard qui, dès 2023, a attiré l’attention de la DRAC sur le devenir de son école d’autant qu’elle ne bénéficie d’aucune protection. L’association a également sollicité la DRAC. Ses services ont alors pris contact avec la municipalité et une réunion a eu lieu en avril 2023. Comme la DRAC l’indique dans un courrier adressé le 30 septembre 2024 à l’association « Les Amis du Plan de l’Église », elle a mis en place, avec l’accord de la Maire, un atelier pédagogique - composé d’étudiants en architecture (mention Patrimoine) et encadré par une enseignante de l’école nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville – afin d’étudier le bâti et « d’en esquisser les possibilités nouvelles de réutilisation ». Dans ce même courrier, la DRAC informe l’association que la Maire « n’ayant pas souhaité communiquer les conclusions de ces travaux, la DRAC a alors invité la commune à encourager le futur porteur de projet à intégrer la conservation du bâtiment dans sa réflexion. Dans cette éventualité et avec l’accord du propriétaire du bâtiment, une labellisation Architecture contemporaine remarquable demeure envisageable ».
L’école du Bois de la Garenne n’est pas qu’un établissement scolaire. Patrimoine du XXe siècle, elle fait partie de l’histoire de Voisins-le-Bretonneux et est un témoignage de l’évolution de l’architecture scolaire dans les années 70. Sa préservation est sinon une nécessité, du moins une évidence.
Sylvie Becquart, trésorière de l’association Les Amis du Plan de l’Église