Contribution de Sites & Monuments sur le projet d’arrêté définissant l’audit énergétique obligatoire de la loi Climat

Une consultation publique était ouverte, du 8 au 29 septembre 2021, sur le projet d’arrêté définissant le contenu de l’audit énergétique réglementaire prévu par l’article L. 126-28-1 du code de la construction et de l’habitation. Voici la contribution de Sites & Monuments.

Contribution de l’association Sites & Monuments - SPPEF, reconnue d’utilité publique en 1936 et agréée pour la protection de l’environnement depuis 1978.

L’échec de la réforme des diagnostiques de performance énergétique

Il convient, en préambule, de rappeler que la réforme de l’arrêté relatif aux diagnostics de performance énergétique (DPE), en vigueur à compter du 1er juillet 2021, a conduit au doublement des bâtiments rangés en classe F et G, au point que le ministère de la Transition écologique reconnaisse, dans un communiqué de presse diffusé le 24 septembre 2021, que « des résultats anormaux ont été détectés sur les étiquettes du DPE pour certains types de logements parmi ceux construits avant 1975 » et demande la suspension des diagnostiques en cours sur le bâti ancien.

L’échec de la réforme des DPE révèle des approximations majeures, une approche technocratique et une précipitation incompréhensibles dans des domaines pourtant fondamentaux puisqu’ils définissent le visage même de notre pays.

La « méthode des factures » pour le bâti antérieur à 1948 avait pourtant l’intérêt d’une évaluation objective de la consommation énergétique, tenant compte de la complexité et de l’absence d’homogénéité du bâti traditionnel, qu’un logiciel ne saurait évidemment appréhender.

Définir aujourd’hui, comme le précise l’appel à la consultation publique, le contenu de l’audit énergétique obligatoire « en cohérence avec la nouvelle méthode d’évaluation de la performance énergétique des logements, dans le cadre de la réforme du DPE » consiste ainsi à persévérer dans l’erreur. Il convient par conséquent de réécrire l’article 2 III du projet prévoyant que « L’audit énergétique comprend l’estimation de la performance du bâtiment avant travaux, réalisé selon la méthode de calcul conventionnelle utilisée pour l’établissement des diagnostics de performance énergétique des logements mentionnée à l’article L. 126-26 du code de la construction et de l’habitation.  »

Il est en effet plus que jamais nécessaire de distinguer le « bâti ancien » du « bâti moderne », postérieur à 1948 et, en particulier, des « passoires thermiques », constructions des Trente Glorieuses édifiées entre 1945 et 1975. Le bâti ancien est en effet très lié au sol et à la géographie, qui influencent son fonctionnement, sa forme architecturale et lui donnent aujourd’hui son intérêt patrimonial et énergétique. Ces constructions, composées de matériaux sensibles à l’humidité (bois, terre, brique, pierre), contrairement aux bâtiments modernes, qui sont insensibles à l’humidité, sont tributaires d’un équilibre hygrothermique subtil. Ce bâti, contrairement à celui moderne, étanche, vit en effet avec l’environnement dont il est issu, avec lequel il interagit naturellement. Ceci a été établi par le CREBA, l’étude BATAN et synthétisé notamment dans des fiches ATHEBA. Il convient d’en tenir compte dans les modalités de l’audit énergétique, comme en matière de travaux.

Il s’agit, concrètement, de revenir à la méthode dite « des factures », la seule réellement fiable compte tenu des moyens réduits dévolus aux diagnostiqueurs et auditeurs.

Précipitation et massification

C’est de cette précipitation dont témoigne la procédure d’urgence pour l’élaboration de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et la mise à la consultation publique, à peine 17 jours plus tard, du présent projet d’arrêté, pour seulement 21 jours.

Le projet d’arrêté est présenté comme devant définir un « cadre unique permettant une pleine lisibilité pour les ménages », dans un « objectif de massification de la rénovation énergétique et d’éradication des passoires énergétiques. »

Or, nous tenons à rappeler les conséquences de cette politique de « massification de la rénovation énergétique » pour notre bâti ancien, nos paysages et notre environnement. En effet, que reste-t-il du bâti traditionnel s’il est privé de ses menuiseries anciennes (porte, fenêtres et volets), si sa toiture est surélevée pour l’isoler, s’il est revêtu d’une isolation par extérieur (après arasement de son décor architectural) ou isolé par l’intérieur après destruction de sa décoration (lambris, stucs, sols anciens, etc.) ? Nos paysages urbains et ruraux pâtiront de ces constructions devenues informes. Et pour quel intérêt écologique, sachant que les menuiseries en PVC et l’isolation par dalles de polystyrène - deux dérivés du pétrole - sera privilégiée, puisque moins onéreuse, pour une durée de vie sans commune mesure avec celle des matériaux traditionnels ?

L’actuel projet d’arrêté nie en définitive la dimension culturelle et architecturale du bâti, en la réduisant à quelques monuments protégés par le code du patrimoine.

L’analyse du détail des dispositions du projet de texte, présentation trompeuse et tronquée de la réalité normative, confirme pleinement ces craintes.

Un arrêté ignorant le principe d’indépendance des législations

L’article 3 de l’arrêté prévoit que « I. Les propositions de travaux […] ne doivent pas : 1° Entraîner des modifications importantes […] en contradiction avec les règles et prescriptions prévues pour : - Les monuments historiques classés ou inscrits, les sites patrimoniaux remarquables ou les abords des monuments historiques mentionnés au livre VI du code du patrimoine ; - Le bâtiment, immeuble ou ensemble architectural ayant reçu le label mentionné à l’article L. 650-1 du même code. »

Or, cette écriture méconnait totalement le principe d’indépendance des législations. La loi dit en effet simplement que les propositions de travaux « doivent être compatibles avec les servitudes prévues par le code du patrimoine », c’est-à-dire qu’elles doivent, autant que faire se peut, intégrer à l’avance ces contraintes, sans pour autant les soustraire aux procédures patrimoniales en vigueur. La formulation retenue par l’arrêté (« les propositions de travaux ne doivent pas entrainer des modifications en contradiction avec… ») laisse penser, a contrario, que les préconisations de l’auditeur énergétique s’imposent aux autres règles impératives, notamment aux documents d’urbanisme, aux autorisations en sites inscrits et classés, aux servitudes relatives au droit des sols, au droit de propriété, à la sécurité des biens et des personnes, au droit d’auteur…

Conformément à l’objectif de « pleine lisibilité pour les ménages », rappelé par la consultation, la formulation suivante (en gras) lèverait certaines des ambiguïtés du texte :

« I. Les propositions de travaux […] doivent être compatibles : 1° avec les règles et prescriptions prévues pour : - Les monuments historiques classés ou inscrits, les sites patrimoniaux remarquables ou les abords des monuments historiques mentionnés au livre VI du code du patrimoine ; - Le bâtiment, immeuble ou ensemble architectural ayant reçu le label mentionné à l’article L. 650-1 du même code.
Ces propositions de travaux ne permettent pas de s’affranchir du respect des règles et prescriptions régissant notamment l’urbanisme, le patrimoine, la protection des sites, le respect de la propriété ou du droit d’auteur.
 »

Des travaux indifférents aux contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales avant l’atteinte de la classe B ?

Article 2 c) prévoit que « L’étape finale prévoit d’atteindre la classe B, lorsque les caractéristiques techniques, architecturales, ou patrimoniales au sens du III de l’article 3 […] ne font pas obstacle à l’atteinte de ce niveau de performance. »

Tandis que l’article 3 du projet d’arrêté précise que :
« III. Les caractéristiques techniques, architecturales ou patrimoniales mentionnées au c) du I de l’article 2 sont celles pour lesquelles les travaux nécessaires à l’atteinte de la classe B :
1° Font courir un risque de pathologie du bâti, affectant notamment les structures, le clos ou le couvert du bâtiment.
2° Entraînent des modifications importantes de l’état des parties extérieures ou des éléments d’architecture et de décoration de la construction, en contradiction avec les règles et prescriptions prévues pour : a) Les monuments historiques classés ou inscrits, les sites patrimoniaux remarquables ou les abords des monuments historiques mentionnés au livre VI du code du patrimoine ; b) Les sites inscrits ou classés mentionnés au livre III du code de l’environnement ; c) Les constructions mentionnées aux dispositions des articles L. 151-18 et L. 151-19 du code de l’urbanisme relatives à l’aspect extérieur des constructions et les conditions d’alignement sur la voirie et de distance minimale par rapport à la limite séparative et l’aménagement de leurs abords ; d) Le bâtiment, immeuble ou ensemble architectural ayant reçu le label mentionné à l’article L. 650-1 du code du patrimoine.
3° Ne sont pas conformes à toutes autres servitudes relatives notamment au droit des sols, au droit de propriété, à la sécurité des biens et des personnes ou à l’aspect des façades et à leur implantation.
 »

Ainsi, a contrario, on en déduit que les propositions de travaux nécessaires à l’atteinte des classes F, E, D ou C peuvent être formulées même lorsque les caractéristiques techniques, architecturales ou patrimoniales feraient obstacle à l’atteinte de ce niveau de performance. Or, les travaux nécessaires à l’atteinte des classes F, E, D ou C peuvent, à l’évidence, faire courir un risque de pathologie du bâti (moisissure, désordres divers), modifier l’architecture et la décoration des monuments historiques (suppression de menuiseries anciennes, isolation par l’extérieur ou par l’intérieur), contrevenir à la législation sur les sites, s’opposer aux prévisions des documents d’urbanisme (déclaration préalable de travaux notamment), ce qui ne serait évidemment ni concevable ni légal.

Ainsi, les propositions de travaux formulées pour l’atteinte des classes F, E, D ou C sont indépendantes des contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales du bâti, mais ne permettent pas de s’affranchir, en aval, du respect des règles et prescriptions correspondantes.

Il est donc impératif de préciser, toujours dans un objectif de « pleine lisibilité pour les ménages », que « Les propositions de travaux nécessaires à l’atteinte des classes F, E, D ou C ne permettent pas de s’affranchir des règles s’appliquant notamment aux monuments historiques, aux sites patrimoniaux remarquables, aux abords des monuments historiques, aux bâtiments porteurs du label mentionné à l’article L. 650-1 du code du patrimoine, à la protection des sites, à l’urbanisme, au respect de la propriété ou du droit d’auteur et à la responsabilité professionnelle en matière de pathologie du bâti. »

Nous insistons sur la responsabilité historique que porte le Gouvernement dans l’évolution de la physionomie même de notre pays, enjeu notamment de ce projet d’arrêté.

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

Pour consulter le projet d’arrêté définissant le contenu de l’audit énergétique réglementaire prévu par l’article L. 126-28-1 du code de la construction et de l’habitation

Texte de présentation de la consultation publique :

"Projet d’arrêté définissant le contenu de l’audit énergétique réglementaire prévu par l’article L. 126-28-1 du Code de la construction et de l’habitation
L’article 158 de la loi n°2021-1104 portant lutte contre le dérèglement climatique et
renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat Résilience », prévoit la
réalisation d’un audit énergétique obligatoire pour les logements de classes D, E, F et G en monopropriété proposés à la vente, avec une mise en œuvre selon le calendrier suivant :
 1er janvier 2022 pour les logements de classes F ou G ;
 1er janvier 2025 pour les logements de classe E ;
 1er janvier 2034 pour les logements de classe D.
Ces dispositions ont été codifiées à l’article L. 126-28-1 du code de la construction et de l’habitation. Elles nécessitent de définir le contenu d’un audit énergétique obligatoire au moment des mutations à compter du 1er janvier 2022, par arrêté, en cohérence avec la nouvelle méthode d’évaluation de la performance énergétique des logements, dans le cadre de la réforme du DPE, entrée en vigueur au mois de juillet 2021.

A terme, l’objectif est que la définition de cet audit énergétique réglementaire, objet du présent arrêté, constitue le cadre unique pour les audits énergétiques adossés aux dispositifs incitatifs (MaPrimeRénov’, CEE rénovation globale, éco-prêt à taux zéro performance globale, audit réalisé dans le cadre du SARE), ce qui supposera l’adaptation de plusieurs autres textes réglementaires spécifiques (par exemple, l’arrêté définissant les critères techniques d’éligibilité au bénéfice de MaPrimeRénov’, s’agissant de l’audit réalisé dans le cadre de ce dispositif).

Ce cadre unique permettra une pleine lisibilité pour les ménages et une cohérence des dispositifs pour les professionnels participant ainsi à l’objectif de massification de la rénovation énergétique et l’éradication des passoires énergétiques."