Surdensification et banalisation de Fontainebleau au préjudice d’un patrimoine unique

Grandes écuries de Fontainebleau, ou "Quartier des Héronnières", avec parc et château au second plan. Photo domaine de Fontainebleau.

Après l’affaire de Grignon, Fontainebleau, ville d’art et d’histoire dotée d’un patrimoine exceptionnel reconnu au niveau mondial est à son tour menacé par un projet d’urbanisation ultra dense au sud du périmètre du Palais et cela avec la complicité active du ministère de la Culture.

Situation des Grandes Écuries du château de Fontainebleau (quartier des Héronnières) et du clos des Ébats. Photo Google Earth.

Le projet le plus proche est situé sur le Domaine national : il s’agit de la transformation du Quartier des Héronnières, c’est-à-dire des Grandes Écuries du château, édifiées entre 1738 et 1740 sur les dessins de Jacques V Gabriel (1667-1742) et de son fils Ange-Jacques (1698-1782), et de terrains contigus, affectés au ministère de la Guerre à la fin du Second Empire, en un campus d’art, sous la main du promoteur Pitch.

Urbanisation du clos des Ebats empiétant sur la composition architecturale des Grandes Ecuries (Quartier des Héronnières). Vue aérienne du projet.

Si l’idée même de la restauration de bâtiments, que l’État a d’ailleurs laissé se dégrader par son impéritie, et de la création d’un établissement d’enseignement paraît prima facie excellente, elle cache en réalité une sordide opération de spéculation immobilière, sans réelle garantie pour l’État.

Jacques V Gabriel (1667-1742) et Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), Grandes Écuries du château de Fontainebleau (quartier des Héronnières) délaissées par l’armée.
Jacques V Gabriel (1667-1742) et Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), Grandes Écuries du château de Fontainebleau (quartier des Héronnières) délaissées par l’armée.

Elle cache en effet la construction de 5 barres de 880 logements, sur la partie sud du clos des Ébats (nom donné à l’exercice des chiens), en visibilité directe du quadrilatère des Héronnières et du Parc, dont la plus septentrionale, bien trop avancée, empiète sur la composition architecturale de la Grande Écurie. Le reliquat de terrain, plus au Nord, a, en revanche, "vocation à entrer dans le domaine national, [demeurant] inaliénable et inconstructible, et sera transformé en un jardin paysager dévolu aux arts" (voir ici).

Vue des bâtiments légers (aujourd’hui ruinés) établis par l’armée sur le terrain du clos des Ebats. Photo Google Earth.

Il convient cependant de s’interroger sur la densification considérable de terrains aujourd’hui revenus à la nature après l’effondrements des bâtiments légers établis par les militaires. Cette logique de "valorisation" des "friches" militaires est d’autant plus préoccupante que de nombreuses composantes de nos domaines nationaux ont été affectées à l’Armée, après la dissolution de la liste civile de l’empereur Napoléon III en 1871.

Urbanisation trop dense du clos des Ébats empiétant sur la composition architecturale des Grandes Ecuries (Quartier des Héronnières). Vue aérienne du projet.

Rien ne garantit d’ailleurs, qu’en cas d’échec de l’école, les logements étudiants ne soient pas reconvertis en habitation pure et simple, le terrain d’assiette appartenant de plein droit au promoteur à qui il aura été cédé et dont il pourra disposer à sa guise.

Justement, par arrêté du ministre du 10 juin 2021, la cession du terrain situé au sud-est des Héronnières (dit du Clos des Ébats) est autorisée, alors même que le contrat de concession avec l’établissement public qui gère le château n’a pas été signé.

L’agglomération de Fontainebleau a lancé le 8 juillet 2021 une procédure de modification du plan local d’urbanisme sans aucune visibilité réelle sur ce contrat et sans aucune garantie pour ce bien du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Quartier des Subsistances, banalité des bâtiments projetés.

Le second projet est déjà engagé au niveau du document d’urbanisme consiste en la transformation du quartier militaire des Subsistances.
Il s’agit de développer, ex nihilo si on ose dire, 4 îlots de logements et de commerces en R+1 à R+5 pour une surface de plancher de 28 700 m2, une résidence étudiante de 5 490 m2, et un bâtiment en R+6 de 4 600 m2 regroupant un hôtel, des bureaux, des commerces et un restaurant, le tout pour une surface de plancher totale d’environ 38 800 m2 ; et enfin de réaliser 820 places de stationnement majoritairement en sous-sol des bâtiments projetés (avec des parkings à deux niveaux de sous-sols) avec un parking silo en R+3 de 383 places de stationnement, aménager une place publique.

Il va sans dire que l’aspect esthétique, celle d’une architecture "générique" pour reprendre l’expression de Rem Koolhaas, avec l’alibi d’une "végétalisation" toute superficielle, n’a aucun rapport avec la présence du château et du parc pourtant situés à proximité, et cela avec la complicité de l’État vendeur du terrain et des autorités culturelles (architecte des bâtiments de France). Le permis n’a pas encore été délivré mais la procédure est en cours.

Maison forestière d’Avon (commune de Fontainebleau), cédée par l’ONF à la SEM du Pays de Fontainebleau, en cours de démolition pour créer une résidence étudiante à l’emplacement de son parc.

Dans la continuité de ce processus de densification, signalons la démolition de la maison forestière d’Avon (située sur la commune de Fontainebleau), cédée récemment à la Société d’économie mixte du Pays de Fontainebleau pour construire dans son parc de 2000 mètres carrés une résidence sociale étudiante de plus de 160 places et de 4500 mètres carrés de surface de plancher. Fâcheux symbole dans la perspective du projet d’inscription de la forêt de Fontainebleau au patrimoine mondial de l’UNESCO...

Principaux projets de densification à Fontainebleau. Photo Google Earth.

Il est urgent que les associations de protection du patrimoine soient entendues par les autorités au plus au niveau pour arrêter ces mauvais projets et trouver des alternatives compatibles avec un site de niveau UNESCO.

Ines Champetier de Ribes, correspondante Sites & Monuments à Fontainebleau