Un projet indigent menace de dénaturer Pont-l’Abbé en détruisant des bâtiments protégés par son SPR

Maison édifiée en 1762 destinée à être détruite et remplacée par un édifice hors d’échelle et mal intégré à son contexte urbain. Avant / Après.

Propriété de la congrégation des Sœurs Hospitalières de saint Thomas de Villeneuve, l’Hôtel-Dieu de Pont-l’Abbé va faire l’objet d’un vaste projet de modernisation. Dans le cadre de son agrandissement, un bâtiment néogothique de belle facture ainsi qu’une rare maison de négociant datée de 1762 sont voués à la démolition. Or, le premier de ces bâtiments est repéré au titre des "espaces urbains remarquables", tandis que la maison de 1762 est répertoriée en tant que "bâti d’intérêt architectural" dans l’Aire de valorisation de l’architecture et du patrimoine (aujourd’hui Site patrimonial remarquable) de Pont-l’Abbé adoptée en 2014. Cet ensemble urbain est donc en principe protégé par la loi.

L’harmonieuse maison, édifiée en pierre appareillée sous le règne de Louis XV, est d’autant plus précieuse que la ville n’a conservé qu’une vingtaine de demeures antérieures à la Révolution. Elle est, de plus, parfaitement documentée.

Hôtel-Dieu de Pont-L’Abbé avec matérialisation de l’emprise du projet
Permis avec indication des bâtiments à démolir (en rouge) et à construire (pointillés bleus). L’aumônerie figure en haut à droite.

Datée de 1762, ainsi que l’indique le linteau gravé de la porte principale, elle fut construite par Alain Daniel, l’un de ces entreprenants négociants-armateurs qui, sous l’Ancien Régime, ont fait la prospérité de Pont-l’Abbé, actif port de commerce de fond d’estuaire.

Dans la première moitié du XIXe siècle, elle était la propriété d’un autre négociant, Jean-Marie-Clément Brizel, grand exportateur de céréales vers Nantes. Il fut maire de la ville pendant vingt-deux ans, de 1807 à 1829, sous l’Empire et la Restauration. En 1809 le préfet du Finistère le qualifie « d’un des maires les plus distingués du département ». Son long mandat a notamment été marqué par ses travaux d’embellissement de la ville et la création de nombreux chemins vicinaux en Pays bigouden.

A droite de l’image, maison de 1762 et bâtiment néogothique protégés dans le cadre du SPR destinés à être démolis dans le cadre de la modernisation de l’Hôtel-Dieu de Pont-L’Abbé

Inexplicablement, le caractère ancien et protégé de cette maison de 1762 est totalement passé sous silence dans le permis de construire, qui indique "1960" comme date de construction (!), tandis que l’inscription du projet dans un Site patrimonial remarquable est tue, alors que cette indication est obligatoire (voir Cerfa, p. 10). On suspecte ainsi une volonté chez les pétitionnaires de dissimuler l’existence de jalons importants dans l’histoire de la ville. On pensait les religieuses propriétaires des lieux plus soucieuses de la beauté architecturale et du respect du patrimoine légué par nos ancêtres.

Tout aussi inexplicablement, l’architecte des Bâtiments de France du Finistère a donné son feu vert à la démolition et le maire de Pont-l’Abbé a signé le permis de construire sans émettre la moindre réserve.

Il convient enfin de souligner que, par une telle démolition, Pont-l’Abbé risque de perdre son label de Ville et Pays d’art et d’histoire, alors que l’Association des Cités d’Art de Bretagne, qui fédère les titulaires du label en Bretagne, est chargée de veiller à la bonne conservation de ces patrimoines.

Linteau en granit de l’aumônerie de l’Hôtel-Dieu portant la date de 1762. Maison édifiée pour Alain Daniel, négociant-armateur de Pont-L’Abbé, puis habitée par Clément Brizel, maire de la ville sous l’Empire et la Restauration.

La démolition de cet ensemble urbain, pourtant protégé, suscite l’incompréhension et la colère de nombreux Pont-l’Abbiste (à commencer par les riverains) et des défenseurs du patrimoine.

Un recours gracieux auprès du maire est en cours. Mais cela suffira-t-il à faire triompher le bon sens et la légalité ?

Serge Duigou

Maquette du projet de modernisation de l’Hôtel-Dieu de Pont-L’Abbé

Recours gracieux déposé par Sites & Monuments

Monsieur Stéphane LE DOARE
Maire de Pont-l’Abbé
Square de l’Europe
29120 PONT-L’ABBE

Paris, le 8 septembre 2023

LRAR n°1A 192 825 4856 8

Objet : recours gracieux contre l’arrêté du 12 juillet 2023 accordant le permis de construire n° PC 29220 22 00046 ayant notamment pour objet la démolition du no 44 de la rue du Général de Gaulle à Pont-l’Abbé, bâtiment dit aumônerie datant de 1762

Monsieur le Maire,

Par arrêté du 12 juillet 2023, vous accordiez à la société Aiguillon construction, domiciliée au 3 ter rue Auguste-Brizeux à Quimper, un permis, ayant notamment pour objet la démolition du bâtiment dit aumônerie daté de 1762, du bâtiment néogothique Sainte-Anne (doté de rampants à crochets), d’un mur de clôture en moellons en granite, démolition permettant d’urbaniser « un petit parc arboré aujourd’hui peu utilisé » (Notice de présentation, p. 2) pour y réaliser des logements.

Mur et jardin de l’Hôtel-Dieu destinés à être détruits au profit d’un immeuble de logement.

Ainsi, selon votre arrêté, il s’agit de créer « 46 logements collectifs en locatifs social, présentant une surface de plancher créée de 2577,84 m2 pour les logements collectifs, une surface de plancher créée de 4540,00 m2 pour le pôle psychiatrique et une surface de plancher supprimée de 4846,00 m2 ». On note par conséquent que la surface de plancher dédiée aux soins régresse avec le projet, qui crée en revanche des logements collectifs, susceptibles cependant de trouver place ailleurs.

Le permis, tel que déposé et consultable par vous-même, par les autorités publiques, comme par vos administrés est trompeur :

La notice de présentation PC4, présente le bâtiment de l’aumônerie de 1762, tout comme le bâtiment néogothique Sainte-Anne, comme « construit dans les années 60 » (Notice de présentation, p. 2). Or, la date de construction du premier est antérieure à la Révolution française, tandis que le bâtiment Sainte-Anne date de la fin du XIXe siècle.

Aumônerie de l’Hôtel-Dieu occupant la maison d’un armateur datée de 1762, protégée dans le SPR et devant être démolie.
Pignon néogothique du bâtiment Sainte-Anne de l’Hôtel-Dieu, protégé dans le SPR et devant être démolie.

Cette belle maison harmonieuse de l’aumônerie est d’autant plus précieuse que la ville n’a conservé qu’une vingtaine de maisons antérieures à la Révolution. Elle est de plus parfaitement documentée. Datée de 1762, ainsi que l’indique le linteau gravé de la porte principale, elle fut construite par Alain Daniel, l’un de ces entreprenants négociants-armateurs qui, sous l’Ancien Régime, ont assuré la prospérité de Pont-l’Abbé, actif port de commerce de fond d’estuaire. Dans la première moitié du XIXe siècle, elle était la propriété d’un autre négociant, Jean-Marie-Clément Brizel, grand exportateur de céréales vers Nantes. Il fut maire de la ville pendant vingt-deux ans, de 1807 à 1829, sous l’Empire et la Restauration. En 1809 le préfet du Finistère le qualifie « d’un des maires les plus distingués du département ». Son long mandat a notamment été marqué par ses travaux d’embellissement de la ville et la création de nombreux chemins vicinaux en Pays bigouden.

La même Notice de présentation, page 7, montre le bâtiment de l’aumônerie sur une simulation en trois dimensions du projet, ce qui laisse supposer qu’il ne sera pas démoli. D’ailleurs, aucune photo du bâtiment de 1762 ou du bâtiment néogothique n’apparait dans le document PC 27 A2 intitulé « Photos de démolitions », ce qui est totalement anormal.

Rubrique "photos de démolition" du permis où ne figurent ni la maison de 1762, ni le bâtiment néogothique, devant pourtant être démolis.

L’article L. 632-1 du code du patrimoine précise les obligations des municipalités dotées d’un Site patrimonial remarquable (anciennement AVAP) :
« Dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable, sont soumis à une autorisation préalable les travaux susceptibles de modifier l’état des parties extérieures des immeubles bâtis, y compris du second œuvre, ou des immeubles non bâtis. […] L’autorisation peut être refusée ou assortie de prescriptions lorsque les travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur du site patrimonial remarquable. »

L’article L. 632-2 du code du patrimoine précise que :
« I. – L’autorisation prévue à l’article L. 632-1 est, sous réserve de l’article L. 632-2-1, subordonnée à l’accord de l’architecte des Bâtiments de France, le cas échéant assorti de prescriptions motivées. A ce titre, ce dernier s’assure du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine, à l’architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant. Il s’assure, le cas échéant, du respect des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur ou du plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine. »

Carte des protections du Site patrimonial remarquable (SPR) de Pont-L’Abbé avec indication du périmètre du projet.
Légende des protections du SPR de Pont-L’Abbé.

- Bâtiment néolithique Sainte-Anne

La rue est avec le pignon du bâtiment Saint-Anne est classée en «  Espace urbain remarquable  » (en jaune sur le plan). Le règlement précise qu’« Un espace urbain remarquable s’inscrit dans la composition de la ville […] et marque son identité. Il comprend notamment le domaine public mais aussi les immeubles bâtis ou non bâtis qui le délimitent ; cet ensemble constitue une composition aux caractéristiques cohérentes qu’il convient de préserver. […] » (Règlement, p. 14)

Le pignon néogothique du bâtiment Sainte-Anne doit donc en principe être préservé.

Le règlement de l’AVAP de Pont-l’Abbé précise, par ailleurs, les conditions d’intervention sur ces espaces et bâtis à préserver :
« Toute intervention sur cet espace doit s’attacher au respect des critères le définissent, notamment en ce qui concerne l’histoire du lieu, ses usages ancien et actuels, ses conditions d’accès et de circulation, ses caractéristiques physiques et dimensionnelles. Une attention particulière sera portée sur la silhouette des ensembles bâtis concernés, au respect des hauteurs existantes des égouts et des faitages en toiture » (Règlement, p. 14).

Or, rien dans le projet ne rappelle ou n’évoque les caractéristiques physiques et dimensionnelles, la silhouette ou la hauteur du bâtiment néogothique protégé.

- Aumônerie de 1762

La maison de 1762 est, pour sa part, identifiée comme «  bâti d’intérêt architectural  » (en bleu sur le plan), immeubles définis comme « Proches de leur état d’origine ». Le règlement précise que « le repérage du bâti d’intérêt architectural au plan a pour objet la préservation de ces modèles, afin de conserver la perception de l’histoire architecturale de Pont-L’Abbé. Outre les cas prévus à l’article L. 451-2 du code de l’urbanisme, ou ceux relevant d’un projet d’ensemble d’intérêt général, la démolition d’un immeuble d’intérêt architectural est interdite. Elle ne pourrait être autorisée qu’exceptionnellement, à la faveur d’un projet de qualité s’inscrivant parfaitement dans le contexte urbain du quartier concerné » (Règlement, p. 20).

Or, selon l’arrêté délivrant le permis, la « surface de plancher créée [est] de 4540,00 m2 pour le pôle psychiatrique », tandis que la « surface de plancher supprimée [est] de 4846,00 m2 ». Une autre organisation du projet de rénovation était ainsi possible, y compris par conservation et réhabilitation de certains bâtiments existants.

Il est en outre évident que rien dans la volumétrie, la structure ou le second œuvre des bâtiments à édifier ne « s’inscrit parfaitement dans le contexte urbain du quartier concerné » comme l’exige le code du patrimoine et votre règlement (p. 20) à titre de condition à la démolition d’éléments protégés dans le cadre du Site patrimonial remarquable.

Contexte urbain particulièrement homogène du projet (à droite, maison de 1762 et pignon du bâtiment néogothique protégés dans le SPR).
Bâtiment cubique, devant notamment succéder à la maison de 1762, conçu sans aucun souci d’intégration à son contexte urbain.

La portion de la rue du Général de Gaulle concernée présente en effet des constructions toute en R+1, mettant en œuvre du granite ou enduite en blanc, à toitures d’ardoises à deux pans, dotées de lucarnes. La maison de l’aumônerie, datée de 1762, est d’ailleurs présentée à deux reprises, dans le Diagnostic patrimonial de l’AVAP (photographies à l’appui, p. 27 et 46), comme l’archétype de cette forme de bâti traditionnel.

Maison de 1762 reproduite dans le Diagnostic patrimonial sous-tendant le Site patrimonial remarquable.
Maison de 1762 reproduite dans le Diagnostic patrimonial sous-tendant le Site patrimonial remarquable.

Le bloc cubique en R+3 édifié en lieu et place des bâtiments protégés de Saint-Anne et de l’Aumônerie n’est en rien compatible avec la morphologie du quartier existant telle que décrite plus haut.

Il viole ainsi les prescriptions de l’article L. 632-2 du code du patrimoine disposant que « l’architecte des Bâtiments de France […] s’assure du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine [et] à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant », comme celles du règlement de l’AVAP prévoyant que « la démolition d’un immeuble d’intérêt architectural […] ne pourrait être autorisée qu’exceptionnellement, à la faveur d’un projet de qualité s’inscrivant parfaitement dans le contexte urbain du quartier concerné ».

Le caractère trompeur de la demande de permis sur le devenir des éléments patrimoniaux, pourtant protégés par le Site patrimonial remarquable, joint à la mauvaise analyse de l’intégration des constructions à édifier dans le tissu urbain de Pont-L’Abbé motivent ce recours administratif.

C’est ainsi par une erreur manifeste d’appréciation que le permis de démolir visé a été délivré.

Nous avons par conséquent l’honneur de solliciter le retrait de votre arrêté du 12 juillet 2023 accordant le permis de construire n° PC 29220 22 00046.

Restant à votre disposition, je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de ma parfaite considération.

Julien Lacaze
Président de Sites & Monuments – SPPEF

Consulter l’arrêté du 12 juillet 2023 délivrant le permis de construire
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