Cimetière de Cherré : comment effacer le patrimoine végétal après celui de la chapelle

Vers 1836, le petit village de Cherré en Anjou vit sa tranquillité troublée par des travaux. Le projet de réalisation de la route stratégique N° 24 qui devait semble-t-il couper le grand cimetière en deux, a incité la municipalité à lui trouver un nouvel emplacement pour être en accord avec les règlements. Le cimetière actuel remplace le petit et le grand cimetière (Section B4 de la Morinière n° 1326 et 1327 du plan napoléonien).

Le 3 novembre 1840, le maire constate que le cimetière, situé à quelques mètres seulement de la route stratégique N° 24, n’est clos que par une « haye » sujette à de fréquentes dégradations. Ce cimetière est agrandi par « une parcelle de terrain délaissé par l’ancien chemin de Cherré à Chateauneuf ». La mairie demande des devis pour « ériger un mur de deux mères de hauteur et de soixante centimètres d’épaisseur ».
Le devis de construction du mur d’enceinte établi par René Ferron, maçon à Cherré en 1841, s’élève à 600 francs. Le 9 février 1842, la construction est décidée et les habitants participent gratuitement à son édification. Monsieur Devassé de Marigné donne les pierres, et les fermiers s’occupent du charroi de celles-ci. Trois ans plus tard, les délibérés du conseil municipal du 12 octobre 1845 et du 5 avril 1846 permettent l’acquisition de terrains pour agrandir à nouveau le cimetière.

Le mur sud, côté porte d’entrée, est bordé d’ifs (Taxus). Img GoogleMap

Les cyprès et les ifs, compagnons des sépultures
Pour les phéniciens, grecs et romains, le cyprès symbolise le deuil. Ils l’utilisaient pour la fabrication des cercueils et portes de temples mais aussi pour la construction de navires. Autrefois, une allée bordée de six cyprès communs (Cupressus sempervirens) conduisait à la chapelle funéraire de Cherré. Depuis, ces magnifiques cyprès ont été tronçonnés à la base, malgré l’avis défavorable du conseil municipal du 5 mai 1978. Le cimetière conservait cependant 12 ifs plantés au moment de la création du nouveau cimetière au milieu du XIXe siècle.

Chez les celtes et une partie des germains, l’if était le symbole de vie et de mort. Jules César rapporte dans De bello gallico [1] que le chef Ebulron Catuvolocos se donna la mort en ingérant de l’if.
Lors de la christianisation, ce symbole païen fut récupéré par l’Eglise dans les contrées où il est vénéré. L’if est planté dans les cimetières de Bretagne mais absent des régions méditerranéennes (ou l’on trouve majoritairement des cyprès). Dans les cloîtres, par contre, il représente le paradis [2].

Le 5 avril 2019, lors de son colloque à l’Assemblée Nationale, l’association ARBRES a adopté la Déclaration des droits de l’arbre : certains arbres jugés remarquables pour leur âge, leur aspect ou leurs histoires méritent une attention supplémentaire. « En devenant patrimoine bioculturel commun, ils accèdent à un statut supérieur engageant à les protéger comme monuments naturels ».

Emplacement des douze ifs arrachés début 2023.

Malgré cette prise de conscience, début 2023, les douze ifs de Cherré ont été arrachés. Pourtant, seuls trois étaient morts. Ceux-ci devaient avoir environ 178 ans, leur tronc était d’un diamètre d’environ 60 centimètres pour une forme conique de 5 mètres de hauteur et d’un diamètre de 4 mètres.

Était-il nécessaire de tous les arracher ? Un avis du conseil municipal comme en 1978 (non respecté hélas) ou une consultation des habitants aurait pu être organisée. Cela se nomme la démocratie participative tant demandée en cette période. Qui a décidé, sans concertation avec les habitants, de les arracher ? D’autres ifs seront-ils replantés ? Il ne semble pas que cela fasse partie des projets municipaux...

Christian Leridon, adhérent de Sites & Monuments

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Notes

[1Commentaires sur la guerre des Gaules, VI, 31

[2Extrait du livre Cherré. Histoire d’un village du Haut-Anjou, C. Leridon, Édition La Simarre. ISBN : 978-2-36536—00764