« C’est une zone où poussent les forêts, et les éoliennes »
Le 7 octobre 2024, Marie Thomazic, journaliste au Télégramme [1], annonce ainsi l’enquête publique de Bréhan pour le projet de trois éoliennes géantes (200 m de haut) et surpuissantes (5,9 MW chacune) à implanter sur le belvédère des landes de la Grenouillère, en surplomb de la commune des Forges de Lanouée et de onze hameaux environnants.
On se souvient du désastre qui s’abattit sur la forêt de Lanouée quand le Conseil d’État, contre l’avis du rapporteur, rejeta la requête des associations et des riverains le 15 avril 2021. Le feu vert était donné à la construction d’un parc éolien de 16 machines en forêt, malgré la présence d’espèces protégées. Pauvre forêt ! Pauvres chiroptères !

Aujourd’hui, le danger vient de la commune de Bréhan, membre de Pontivy Communauté, qui ne résiste pas à l’appât de la manne financière des énergies dites renouvelables. Le professionnel de l’éolien Valeco et la SAS Pondi Énergies de ladite communauté ont rondement mené l’affaire.
L’indélicate voisine a choisi d’implanter son installation-repoussoir au fond de son jardin, à l’extrême sud-est de son territoire, sous le nez de Bretagne Centre Communauté et de Ploërmel Communauté !

Une biodiversité menacée
Qu’importe le surplomb d’une vallée, au confluent d’un réseau hydrographique et écologique d’exception ! « À Bréhan, le halage reboisé porte l’ambition de la Bretagne » titre le Télégramme du 19 mars 2025 [2] sous la plume d’Alan Le Cunff, qui poursuit : « À l’écluse de Penhoet, à Bréhan, la biodiversité est à l’honneur... L’idée, c’est de créer un corridor écologique ». Samuel Fauchon, responsable régional du patrimoine naturel des canaux précise : « Avec 9 à 10 mètres entre chaque arbre, l’espacement a été pensé pour favoriser la dispersion des espèces. Ça permet aux chauves-souris et aux mésanges de se déplacer d’un arbre à l’autre. Cela favorise la biodiversité »
Mais le halage est à 1 km à peine des éoliennes... Pauvres mésanges ! Pauvres chauves-souris !
Des sites et monuments ignorés
Qu’importe la perle des Forges de Lanouée : le bourg des Forges, niché au creux de la vallée, qui abrite le château et son domaine. Sont en effet inscrits à l’inventaire des monuments historiques par arrêté du 24 août 2007 « les façades et les toitures, le logis, les bâtiments encadrant la cour dits "l’ambulance" et "la petite maison", la maison du contremaitre, la chapelle, les maisons de la cité ouvrière, l’usine hydroélectrique et la maison du gardien, le corps de ferme (maison d’habitation, chenil et bâtiments d’exploitation), ainsi que les jardins réguliers, le bassin et le nymphée »
Les forges de Lanouée, un des sites industriels les plus importants de Bretagne, ont fonctionné de 1760 à 1864. De cette époque subsiste le haut-fourneau inscrit à l’inventaire des monuments historiques par arrêté du 16 décembre 2003.
Les monuments historiques apportent de précieuses informations : « L’origine industrielle du site remonte à 1756. Les forges ont fonctionné jusqu’en 1864. En 1837, un moulin à tan est créé et, en 1857, un canal de jonction entre la rivière et le canal de Nantes à Brest est construit. En 1932, une usine hydroélectrique est construite, accompagnée de la maison du gardien. Il s’agit de la transformation d’un site industriel en un domaine agricole et paysager autour de l’ancienne maison du maître des forges construite dans les années 1760, et transformée en château néo-Louis XIII au 19e siècle... À partir de 1908, la cour précédant la demeure est encadrée par deux bâtiments : “l’ambulance” (service social et médical) et la “petite maison”qui contenait les bureaux de part et d’autre desquels s’alignaient les logements ouvriers. Un jardin en parterres de broderies de buis est créé ... L’ensemble est complété par un vaste bassin bordé d’un nymphée. L’ancien haut fourneau sert de réservoir d’eau. La chapelle est agrandie en 1895 et prend un plan en croix latine. Le petit clocher à quatre pans sur base quadrangulaire est remplacé par une flèche dans les années 1990 »
On notera que la chapelle en surplomb du Lié, qui la sépare du château des Forges, est devenue l’église paroissiale Notre-Dame-de-Toute-Aide en 1883.

Comment a-t-on pu ignorer tout ce patrimoine à préserver ? On s’y est repris à cinq fois ! La ZDE (zone de développement éolien) de Pontivy Communauté n’avait pas retenu ce site sensible. L’architecte des bâtiments de France s’y opposait. Et pourtant, les compas des porteurs de projets s’obstinaient face à la seule raison qui vaille : un site dégagé à 500 m des habitations... La ligne de crête des landes de la grenouillère leur semblait irrésistible !
En 2009, Eole Génération, filiale de GDF Suez, annonçait avoir déposé des demandes de permis, sans résultats. Ce fut Valeco qui emporta l’affaire avec la prise de participation de Pontivy communauté.
L’autorisation a été délivrée par le préfet le 13 février 2025 [3], malgré les avis défavorables de la commissaire enquêtrice, de la commune des Forges de Lanouée et de l’architecte des bâtiments de France.
L’impact sur le château des Forges n’a pas été évalué.

Le photomontage retenu par Valeco a été fait à la traversée du Lié, à la sortie du bourg des Forges, là où le cône de vue n’incluait qu’une partie du domaine, sans le château. Valeco a ignoré l’édifice protégé au titre des monuments historiques.
Il était pourtant facile de mesurer l’impact sur le château en se positionnant à la porte de l’église, sans entrer dans le domaine privé, comme le font généralement les visiteurs.

Comme nous l’ont indiqué les propriétaires, l’impact des éoliennes serait fort sur le château, vu de l’église et plus encore de l’intérieur de la demeure, au rez-de chaussée.

De l’église, une des éoliennes serait visible entre les deux cèdres et les deux peupliers au-dessus de la demeure et les deux autres éoliennes un peu plus vers la droite.

Au rez-de-chaussée de la demeure, une des éoliennes sera visible au-dessus du chêne, entre les deux peupliers et les deux autres plus à droite.
L’avis de l’architecte des bâtiments de France absent du dossier d’enquête
Sites & Monuments n’a pas manqué de signaler l’absence de cet avis dans le dossier d’enquête [4] comme le mentionne Le Télégramme du 7 octobre 2025.
Ceci n’a pas échappé à la vigilance de la commissaire enquêtrice qui en fait état en annexe 3 de son rapport page 47 [5]. Il est on ne peut plus éloquent :
« La nouvelle coupe (p.42) entre le projet et le château inscrit au titre des monuments historiques confirme que l’implantation d’éoliennes va gravement lui porter atteinte et constitue un effet de domination indéniable sur celui-ci. Le plateau sur lequel vont s’implanter les mâts fait partie de l’environnement covisible avec le château, bien que l’on soit au-delà des 500 m administratifs. Ces abords, écrin sur plus d’1 km forment un ensemble cohérent avec le monument » écrit Laure d’Hauteville, Architecte des bâtiments de France.
Et elle poursuit : « La composition architecturale, inspirée du style Louis XIII, a le souci de générer une parfaite symétrie ancrée dans un paysage calme, qui met en valeur cette architecture théâtrale et l’enveloppe pour renforcer cet effet artistique. La création d’un domaine agricole et paysager en remplacement du site industriel démontre de plus que le monument est en relation étroite avec son environnement très maitrisé et composé au service de l’agriculture, du paysage, de l’architecture. Ainsi, le positionnement des constructions a été méticuleusement choisi dans une perspective stratégique de gestion du paysage alentour et de maitrise des vues. Dans le contexte morphologique du site, la pose d’éoliennes, ne serait-ce qu’une, engendre une forte agression sur le monument par la rupture d’échelle, les matériaux industriels employés et la forme incongrue de grandes verticales dans un paysage plutôt horizontal. La grande présence lumineuse du projet qui pourrait devenir le fond de décors du monument aggrave l’atteinte du projet sur le château. L’implantation d’éoliennes va à l’encontre des mesures de protection de celui-ci car en dégrade son intérêt artistique. Pour rappel, la protection au titre des monuments historiques est une servitude d’utilité publique. Un simple masque végétal comme solution compensatoire ne pourra atténuer une construction de 125m de haut. Sur la base de ces éléments, nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas de possibilité d’intégration paysagère du projet avec ce choix d’implantation car celui-ci modifie de façon brutale le rapport du monument avec ses abords, un des éléments constituant sa protection »
L’avis défavorable de la commissaire enquêtrice
Cet avis a été pris en compte par la commissaire enquêtrice qui conclut « les atteintes au paysage, aux monuments historiques et aux commodités de voisinage du fait du risque de saturation du motif éolien me semblent de nature à remettre en question l’intérêt général du projet » et émet un avis défavorable [6].
À ce jour, associations et riverains se concertent pour un recours contre l’arrêté du préfet du Morbihan.
Anne Marie Robic, déléguée de Sites & Monuments pour le Morbihan
Lire notre précédent article