Le projet « OnE » : menaces sur la tour Eiffel

Aux abord de la Tour Eiffel, platane condamné par l’édification d’une bagagerie-boutique-restaurant (bâtiment en croissant, à gauche, dans le plan ci-dessous). Photo J. Lacaze / Sites & Monuments.

Dans la continuité des transformations esthétiques imposées par la mairie de Paris depuis plusieurs années, le projet baptisé « OnE » ou « Grand Site tour Eiffel » concerne cette fois-ci le monument le plus célèbre de la capitale, dans la perspective des Jeux olympiques de 2024 dont plusieurs épreuves se dérouleront dans le secteur – notamment au sein du Grand Palais éphémère et dans un stade temporaire installé sur le Champ de Mars, tandis que le Trocadéro servira de « Live Site ».

Plan des constructions prévues. Visuel Gustafson Porter Browman.

D’un montant de 110 millions d’euros, il a pour ambition d’unifier, piétonniser et végétaliser la totalité d’un axe constitué du Champ de Mars, de la tour Eiffel, du pont d’Iéna, de la place de Varsovie et de la place du Trocadéro, dans la perspective d’une nouvelle « coulée verte » destinée à réduire la place de l’automobile. La menace immédiate que constitue l’arrachage de nombreux arbres situés à proximité de la tour nous conduira à n’examiner ici que la partie du projet qui concerne les environs immédiats de l’œuvre de Gustave Eiffel.

L’unité affichée comme ambition contraste avec la réalité du projet. Il n’est en effet pas prévu de revenir sur le mur vitré, bien peu transparent, édifié en 2018, après l’abattage de nombreux arbres. Il définit autour du monument un vaste périmètre auquel il n’est possible d’avoir accès qu’après avoir longé des barrières et franchi des portiques de sécurité de couleur grise qui brisent totalement l’harmonie des lieux, et dont l’utilité se révèle très discutable.

Baraquements abritant des commerces bas de gamme, espaces verts dégradés, détritus jonchant la voie publique et barrières de chantier laissées à l’abandon, auxquels s’ajoutent des dizaines de vendeurs à la sauvette et de joueurs de bonneteau, font de ce site célèbre entre tous, classé depuis 1956 et intégré au patrimoine mondial, l’un des lieux les plus affligeants de la capitale. Les difficultés constatées relèvent ainsi d’abord des missions de police et d’entretien de la ville de Paris et de l’Etat.

Les portiques de sécurité. Photo A. Boulant / Sites & Monuments.
L’avenue Gustave-Eiffel. Photo A. Boulant / Sites & Monuments.
La partie nord du Champ de Mars. Photo A. Boulant / Sites & Monuments.

L’aspect le plus visible du projet réside dans la construction de cinq bâtiments dans les espaces boisés qui entourent le monument, destinés à abriter des bagageries, des boutiques-restaurants, des sanitaires et des bureaux destinés au personnel de la Société d’exploitation de la tour Eiffel.

Deux d’entre eux, en forme de demi-lune, longs de plus de 25 mètres et hauts de 4,50 mètres, doivent entraîner l’abattage de plusieurs arbres ainsi que la démolition de cinq kiosques actuellement situés le long de l’avenue Gustave-Eiffel et sans intérêt patrimonial. Le système racinaire des arbres préservés – notamment celui d’un superbe platane antérieur à la tour – sera directement menacé par ces bâtiments édifiés à quelques mètres seulement, dont les toits seront végétalisés, tandis que les bureaux seront semi-enterrés.

De nouveaux kiosques, particulièrement lourds, doivent être construits en acier « vert de Seine et brun terra » et une cafétéria est prévue dans la grotte-belvédère. Le vaste parvis situé sous la tour doit être entièrement dégagé de ses constructions parasites et les plantations renforcées aux pieds du monument. Une nouvelle signalétique doit enfin être mise en place, de même couleur que ce dernier.

La bagagerie prévue côté ouest. Visuel Gustafson Porter Browman.
Les bureaux semi-enterrés. Visuel Gustafson Porter Browman.
Vue du pilier nord. Visuel Gustafson Porter Browman.

Le projet prévoit également la rénovation de la partie nord du Champ de Mars après la fin des Jeux olympiques. Les deux bandes de pelouses latérales doivent disparaître pour élargir les allées et faciliter les flux, tandis que la pelouse centrale, ramenée à une largeur de 25 mètres - au lieu des 37 mètres actuels - sera remplacée par une pelouse technique – un gazon résistant aux piétinements et comportant une sous-couche sablonneuse – délimitée par des bordures surélevées en pierre.

Le futur tapis vert. Visuel Gustafson Porter Browman.

Quant au mobilier urbain, le projet prévoit de le restaurer en respectant le caractère historique du site, alors qu’un nombre croissant de bancs se trouve dans un état de dégradation avancé. Le sort du bassin trônant au centre de la place Jacques-Rueff, qui n’est plus en eau depuis plusieurs années, suscite de nombreuses inquiétudes. Il est toutefois prévu de piétonniser la place et de restaurer les bancs de pierre et les sculptures qui l’entourent.

Un kiosque prévu quai Branly. Visuel Gustafson Porter Browman.

La mise en place d’une pelouse technique annonce que le Champ de Mars demeurera plus que jamais un lieu de rassemblements susceptibles de générer de nombreuses nuisances, aux dépens des riverains et de tous les habitants soucieux d’y trouver un site harmonieux et préservé. Quant au mur de sécurité et ses portiques disgracieux, leur présence est consacrée par le projet, pourtant occasion unique de revenir sur ces aménagements désastreux.

On note cependant, depuis plusieurs mois, une importante mobilisation de l’opinion en particulier autour de la conservation des arbres. Une enquête publique organisée sur Internet en novembre 2021 a recueilli plus de six mille contributions, 90 % étant hostiles au projet, dont celle de Sites & Monuments, qui s’était fermement opposée au projet lors de son examen par la CDNPA. Une pétition publiée sur le site Change.org et relayée par plusieurs célébrités – parmi lesquelles Nagui, Hugo Clément, Guillaume Gallienne et Laurence Parisot – a réuni 125 000 signatures. Sites & Monuments, SOS Paris, Les Amis du Champ de Mars et France nature environnement ont adressé une lettre ouverte à la ministre de la Culture et à la maire de Paris le 1er mars 2022, avant d’organiser une conférence de presse le 4 mai, à laquelle assistaient de nombreux militants de la cause patrimoniale, parmi lesquels Didier Rykner, directeur de La Tribune de l’Art.

Cette réaction a conduit le premier adjoint au maire, Emmanuel Grégoire, à affirmer qu’aucun arbre centenaire ne serait abattu, avant qu’Anne Hidalgo ne partage un tweet de Christophe Najdovski, adjoint aux espaces verts et à la biodiversité, s’engageant à ne détruire aucun arbre. Les élus écologistes au conseil de Paris ont demandé que soit « réexaminé l’emplacement de la bagagerie et des locaux » destinés aux employés de la tour. Quant à la ministre chargée des sites, elle s’est opposée à la surélévation de la pelouse et au remodelage du terrain par des "bols de verdure".

Si la mairie affirme que le projet ne prendra aucun retard – les travaux devant prochainement débuter place du Trocadéro et place de Varsovie –, elle a toutefois demandé aux différents intervenants de réfléchir à des scénarios permettant de préserver les arbres environnant la tour Eiffel, ce qui supposerait une modification des permis de construire déjà délivrés. Pourtant, si le projet semble effectivement "suspendu", les permis ne sont toutefois nullement "retirés", faisant planer une menace de 3 ans sur le Champ de Mars (délai de caducité d’un permis).

Antoine Boulant, secrétaire de rédaction de la revue Sites & Monuments