Sites & Monuments a été auditionnée le 6 décembre 2018 par Mme Sophie Mette, députée de la Gironde et M. Michel Larive, député de l’Ariège, dans le cadre de la « mission flash » sur la première évaluation du Loto du patrimoine. Une contribution écrite nous a été demandée dans ce cadre, que nous livrons ici au public, conformément à notre politique de transparence.
L’inscription dans notre droit du Loto du patrimoine, réclamée depuis des années, est une innovation fondamentale qu’il convient de développer tout en renforçant ses bénéfices pour la collectivité.
La privatisation de La Française des jeux (FDJ), prévue dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi PACTE, voir ici), impose d’ailleurs au législateur d’agir pour sa pérennité.
Nous proposons à cette fin d’introduire dans l’article 51 du projet de loi un VII ainsi rédigé :
« VII. - La Française des jeux organise au moins une fois par an un jeu de loterie dont au moins 50% des mises sont reversées à des travaux de réparation ou d’entretien indispensables à la conservation de biens patrimoniaux immobiliers ou affectées à l’acquisition, en France comme à l’étranger, ou à la protection au titre des monuments historiques de biens culturels mobiliers d’intérêt remarquable pour le patrimoine national.
L’État renonce à la perception de toute taxe sur ce jeu de loterie. »
Faire simplement figurer cette mention dans la « convention » ou le « cahier des charges » liant l’Etat à la FDJ, dont les conditions doivent être définies par ordonnance (projet d’art. 51, IV, 3e), ne nous semble pas offrir de garanties suffisantes. Il est en effet souhaitable que le Parlement puisse débattre du Loto du patrimoine, institution nouvelle et importante, afin d’établir ses principes dans la loi.
Deux axes d’amélioration nous semblent nécessaires afin de contribuer à l’enracinement et au succès du Loto du patrimoine : augmenter le quantum des sommes affectées au patrimoine (I) et affirmer le caractère extra-budgétaire de cette nouvelle ressource par une affectation spécifique et une répartition démocratique (II).
I. L’augmentation du quantum des sommes affectées au patrimoine
Deux faits sont révélateurs de l’appropriation particulière de ce jeu par le public : le nombre des personnes jouant pour la première fois au loto et celui des gagnants réinvestissant leurs gains dans un nouveau ticket afin de « restituer l’argent » touché au patrimoine. La constatation par la FDJ d’un taux d’achat de 30% supérieur aux autres jeux est également révélateur.
Ce comportement « vertueux » a été contrarié par la faible proportion des mises allant au patrimoine (10 % pour le jeu de grattage) ainsi que par la polémique relative aux taxes perçues par l’État (représentant environ 7% des mises).
Une clarification sur ces points s’impose afin de maintenir l’attractivité du jeu lors de prochaines éditions.
L’affectation de la totalité du montant des taxes au patrimoine n’est tout d’abord en rien gênante, ces dernières finançant notamment la sécurité sociale et le sport (via le CNDS), ce qui peut être jugé trompeur par le public et n’est pas pour autant vertueux budgétairement, ces ressources n’alimentant pas le budget général de l’État. Cette affectation au patrimoine de l’ensemble des taxes perçues par l’Etat sur le jeu est de loin préférable au dégel aléatoire de crédits déjà alloués aux monuments.
Par ailleurs, la redistribution de 72% des sommes misées (pour le jeu de grattage) ne semble pas correspondre à la motivation - au moins en partie patrimoniale - des joueurs. On peut également se poser la question, même si ce point doit être laissé à la discrétion de la FDJ, de l’opportunité d’un jackpot de 13 millions d’euros (pour le tirage). Des gains moins élevés mais plus fréquents ne sont-ils pas plus adaptés à un Loto du patrimoine ?
Loto du patrimoine existant | Hypothèse 50 % pour le patrimoine | Hypothèse 40 % pour le patrimoine | ||||
Grattage | Tirage | Grattage | Tirage | Grattage | Tirage | |
Patrimoine | 10,13 % | 25 % | 50 % | 50 % | 40 % | 40 % |
Taxes | 6,93 % | 7,33 % | ||||
Gagnants | 72 % | 55 % | 39,07 % | 37,34 % | 49,07 % | 47,34 % |
FDJ | 5,73 % | 7,33 % | 5,73 % | 7,33 % | 5,73 % | 7,33 % |
Détaillants | 5,2 % | 5,33 % | 5,2 % | 5,33 % | 5,2 % | 5,33 % |
Il nous semble, qu’idéalement, 50 % des mises devraient être reversées au patrimoine, sans évidemment toucher aux marges de la FDJ et des détaillants (s’élevant au total à environ 11% des mises). Ce chiffre parlant serait de nature à rassurer les joueurs sur la portée patrimoniale de leur participation et permettrait d’envisager une association plus étroite avec les Journées Européennes du Patrimoine (qui ont réuni 12 millions de visiteurs en 2018, soit précisément le nombre de tickets de grattage émis).
En complément de l’abandon des taxes d’État, et afin de financer l’augmentation de la part allouée au patrimoine, seules 39% des mises (au lieu de 72%) seraient reversées aux gagnants (qui pourraient être tout aussi nombreux mais percevoir des sommes plus faibles). Le taux de redistribution aux gagnants pourrait être porté à 49% si la part allouée au patrimoine était réduite à 40%.
Le jeu ayant, selon le ministre de l’Action et des Comptes publics (voir ci-dessus), totalisé 200 millions de recettes en 2018 (dont 180 millions pour le jeu de grattage édité à 12 millions d’exemplaires vendus 15 euros et disponibles pendant 6 mois), il serait possible, avec un taux de réversion de 50%, d’en espérer une manne de 100 millions d’euros pour le patrimoine (ou de 80 millions avec un taux de 40%), sommes réellement significatives sans atteindre cependant les montants collectés par le National Heritage Memorial Fund (NHMF) en Angleterre (environ 300 millions de livres par an).
Les 17% abandonnés au total par l’État (avec les taxes) concernant le jeu de grattage joueraient ainsi un rôle de "levier fiscal", les 33% (ou 23%) restants étant financés par les joueurs. L’essentiel des ressources allouées au patrimoine serait ainsi d’origine extra-budgétaire (sans aucune possibilité de défiscalisation contrairement aux dons faits directement aux fondations ou associations, qui bénéficient d’une réduction fiscale de 66% de leur montant), soit une opération avantageuse pour les finances publiques.
II. L’affirmation du caractère extra-budgétaire des ressources par une affectation spécifique et une répartition démocratique
La part du budget du ministère de la Culture et de la Communication allouée à l’entretien et à la restauration des monuments historiques (3% avec 330 millions d’euros) ou aux acquisitions des musées (0,1% avec 9 millions d’euros) est d’une insuffisance notoire (voir ici). Ces dépenses étant fondamentales, la faiblesse des budgets s’explique par les capacités réduites de mobilisation et de lobbying des défenseurs du patrimoine.
Il n’est par conséquent pas souhaitable de remédier par la ressource extra-budgétaire du loto à des besoins qui devraient être satisfaits à titre principal sur les 10 milliards alloués annuellement au ministère de la Culture.
Cette nouvelle ressource doit ainsi être affectée à des situations préjudiciable au patrimoine mais dépassant le cadre normal de l’intervention étatique.
Il s’agit aussi de conférer une problématique solide au loto du patrimoine en lui donnant une identité forte parmi les moyens de financement du patrimoine.
Les fonds issus du loto pourraient ainsi être affectés au seul patrimoine en péril - protégé ou non au titre des monuments historiques - hors travaux ordinaires et permettre la sauvegarde de bâtiments qui auraient été perdus à brève échéance sans solution de financement.
La reprise du critère des travaux faits d’office en matière de monuments classés - sans nécessairement se placer dans ce cadre rarement usité - permettrait de caractériser cet état de péril : « travaux de réparation ou d’entretien qui sont jugés indispensables à la conservation des monuments » (art. L. 621-11 du CDP). Pourraient ainsi être concernés des travaux d’entretien (reprise ponctuelle de la couverture d’un bâtiment en déshérence, s’inspirant de la politique menée par le NHMF dans le cadre du Roof Repair Fund) comme de restauration (reprise d’éléments structurels, par exemple consolidation d’une ruine ou d’un édifice menacé d’effondrement, voir ci-dessus).
Des bâtiments donnés comme perdus à court ou moyen terme seraient ainsi sauvés par la ressource extra-budgétaire du loto, les crédits ordinaires du ministère - qui devront être augmentés - permettant notamment de poursuivre les restaurations à moyen terme. Une communication adaptée sur ces actions de sauvegarde, complétée par l’apposition d’une marque distinctive millésimée (par ex. « Loto du patrimoine 2019 »), permettraient d’inciter les joueurs à renouveler leur participation.
Le Loto du patrimoine doit également bénéficier au patrimoine mobilier, particulièrement menacé (voir ici). On note tout d’abord l’absence de tout budget de constitution négociée d’une servitude de protection au titre des monuments historiques. Cette protection contextuelle du patrimoine, permettant notamment d’attacher une œuvre à perpétuelle demeure ou de solidariser juridiquement une collection (voir ici et ici), constitue pourtant une alternative à une présentation muséale des œuvres mobilières.
On constate également que les très faibles moyens octroyés sur le budget du ministère de la Culture à l’enrichissement des collections publiques nationales et territoriales (9 millions d’euros en moyenne alors de 17 millions étaient consacrés à cet usage avant 2013) ne permettent pas de participer aux ventes internationales afin de rapatrier des éléments importants de notre patrimoine mobilier (voir ci-dessus), action parfois aussi utile que celle visant à retenir nos « trésors nationaux ».
Il s’agirait ainsi d’avoir les moyens de mener une politique offensive, et non plus seulement défensive, de sauvegarde du patrimoine mobilier. A cette fin, l’amendement proposé s’inspire de la rédaction des dispositions fiscales relatives aux « trésors nationaux à l’étranger » (inapplicables en cas de vente aux enchères) : « achat des biens culturels situés en France ou à l’étranger dont l’acquisition présenterait un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie » (art. 238 bis-0 A al. 2 du CGI). Le critère d’intérêt « majeur » pour le patrimoine, trop restrictif, est cependant ici assoupli en lui préférant celui d’intérêt « remarquable », permettant de saisir de nouvelles opportunités, notamment financières, d’enrichissement de notre patrimoine mobilier.
Un cartel spécifique dans les musées bénéficiaires, signalant l’usage des fonds du loto, serait la meilleure publicité pour ce jeu, à l’instar de la pratique anglaise pour les œuvres acquises grâce au National Heritage Memorial Fund (voir ci-dessous).
Ces critères posés, le choix des actions patrimoniales à financer - aujoud’hui centralisé et peu transparent - devra être ouvert à la société civile qui est à l’origine du recueil des fonds, notamment par l’intermédiaire des associations reconnues d’utilité publique.
Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments