Proposition de loi relative aux missions de l’ABF : réponses de Sites & Monuments aux questions du rapporteur

Sites & Monuments a été auditionnée le 20 février 2025 par le Sénat concernant la proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des bâtiments de France. A l’issue de cette audition, le document ci-dessous a été remis au rapporteur et sénateurs présents.
Le débat porte sur la simplification de l’établissement de "périmètres délimités des abords" (PDA) se substituant aux abords des 500 mètres, généralement réduits par cette opération, mais dans lesquels le lien visuel avec le monument n’a plus à être démontré. Il porte également sur la création éventuelle d’un règlement propre à ces zones, se substituant à l’appréciation des architectes de bâtiments de France (ABF).
JL

Paris, le 20 février 2025

Questionnaire en vue de l’audition du G7 Patrimoine par M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur de la proposition de loi relative à l’exercice des missions des ABF

Observations de Julien Lacaze pour Sites & Monuments

Préambule
Les périmètres de protection des monuments historiques de 500 m sont, de très loin, le premier dispositif de sauvegarde du patrimoine en France. Les bourgs et villages qui ont la chance de disposer d’une telle protection sont immédiatement identifiables. L’image de notre pays dans le monde est notamment liée à ce dispositif. Celui-ci n’est pas étranger au fait que la France soit la première destination touristique mondiale, tourisme international rapportant chaque année 65 milliards à notre économie, équivalent du service de notre dette publique (auxquels il faut ajouter 140 milliards de dépenses du tourisme domestique permettant de maintenir ces sommes au sein de nos frontières). Les restaurations qualitatives opérées dans les 500 mètres sont plus durables et font appel à des savoir-faire généralement non délocalisables. Fragiliser les ABF reviendrait ainsi à compromettre un secteur essentiel pour notre économie.
Si nous constatons plutôt un bon usage des "périmètres délimités des abords" (PDA), il faut cependant noter que nous avons peu de recul sur ce dispositif en raison de son caractère récent et du nombre réduit d’utilisations à ce jour. Contrairement aux 500 mètres de droit commun, il ne permet pas d’appréhender des changements de la forme urbaine à moyen et long terme. Ainsi, un immeuble aujourd’hui dégradé peut être amélioré demain, tandis qu’une construction sans intérêt, mais peu élevée, peut être, à terme, surélevée, faisant ainsi apparaître de nouvelles covisibilités. Exclues du PDA, ces zones ne sont plus appréhendables par l’ABF. Ainsi, un PDA est-il une bonne réponse aux problématiques patrimoniales du moment, mais est passablement statique, tandis que les abords des 500 m sont plus dynamiques, en permettant une meilleure appréhension de l’urbanisme et de ses évolutions dans le temps. Les formes urbaines sont d’ailleurs de plus en plus mouvantes, sous le double effet des normes d’isolation thermiques (ITE, panneaux photovoltaïques) et des poussées densificatrices du principe « Zéro artificialisation nette ». Dans ce contexte, les abords de 500 m gardent tout leur intérêt en raison de leur vaste échelle, mobilisable selon la nature des projets.
Il est, par conséquent, nécessaire de conserver, par prudence, des abords de 500 m, là où les enjeux patrimoniaux sont les plus forts et les plus évolutifs. Il ne s’agit donc pas de délimiter l’intégralité des 46 000 abords de monuments historiques. Il convient de l’affirmer. Cette délimitation ne doit, en outre, pas intervenir pour de mauvaises raisons, comme celle de la charge de travail excessive des ABF. Il ne nous semble en effet pas pertinent de raisonner à partir d’une situation anormale, même en période de contraction budgétaire. L’augmentation des effectifs et le maintien du « verrou » des ABF quant à la délimitation des abords des 500 m sont, pour cette raison, indispensables.

1. En ce qui concerne le premier article de la proposition de loi, qui vise à favoriser la généralisation des périmètres délimités des abords (PDA) en simplifiant leur procédure d’adoption et en renforçant leur sécurité juridique :

  la suppression de la consultation du propriétaire ou de l’affectataire du monument historique vous paraît-elle pouvoir entraîner des difficultés ? Identifiez-vous des situations dans laquelle cette consultation n’est pas pertinente et aboutit à un blocage du déploiement d’un PDA ?

Les périmètres de protection des monuments historiques sont établis en raison de leur intérêt public. Ils appartiennent par conséquent à chacun et le propriétaire du monument ne devrait avoir aucun droit particulier en la matière. Notons cependant, notamment en l’absence d’association dédiée à la préservation du patrimoine, que les propriétaires sont d’excellents connaisseurs de leur monument, leur intérêt particulier coïncidant souvent avec l’intérêt général de la préservation de notre patrimoine.

  la suppression de l’obligation de conduire une enquête publique lorsque la création du PDA n’est pas concomitante à la mise en place ou à la révision des documents d’urbanisme est-elle selon vous de nature à favoriser le développement des PDA ? Identifiez-vous d’éventuels effets de bord de cette mesure ?

L’enquête publique est un moment démocratique d’appropriation de la servitude d’utilité publique, permettant notamment aux associations de protection du patrimoine et à d’éventuels mécontents de s’exprimer. Sa suppression pourrait être, a minima, palliée par une publicité renforcée de la création du PDA permettant aux associations d’en contester la délimitation par un recours gracieux auprès du préfet de Région. L’idée d’une saisine pour avis de la CRPA, où les principales associations sont représentées, pourrait également être étudiée.
S’agissant du « règlement du PDA », le texte, dans sa mouture actuelle, est une invitation faite aux maires à se doter d’OAP patrimoniales correspondant aux zones délimitées. Ce « règlement » n’est cependant pas opposable aux ABF qui conservent leur avis conforme. Il est, par conséquent, logique qu’ils ne soient pas associés à sa fabrication. Les élus locaux sont simplement invités, par leur document d’urbanisme, à rejoindre les préoccupations de l’ABF. S’ils ne le font pas, son avis conforme permettra d’y remédier. Ce dispositif est intéressant, mais il convient d’expliquer au public qu’il s’agit de la politique patrimoniale municipale pour la zone, l’ABF pouvant toujours être mieux disant. Cela nous semble d’ailleurs prudent.

2. Sur l’article 2, qui prévoit la publication systématique des décisions rendues par les ABF dans un registre national mis gratuitement à la disposition du public au format numérique, quel serait selon vous le format et le lieu de mise à disposition les plus pertinents ? Cet article répond-il à un besoin constaté par les associations que vous représentez ?

Cette publication nous semble une bonne idée. Il serait bien que les autorisations d’urbanisme associées soient également mises en ligne afin de comprendre la portée des avis qui, pris en eux-mêmes, ont peu d’intérêt.
Il serait intéressant de développer la page dédiée à chacune des UDAP sur le site du ministère de la Culture. La publicité des délimitations des PDA et des avis des ABF pourrait y être faite.
A titre d’exemple, page, plus que sommaire, de l’UDAP des Yvelines : UDAP des Yvelines
Tout autre sujet : les octrois de certificats de libre exportation d’œuvres d’art du territoire (requis à partir de 300 000 euros pour les tableaux et de 100 000 euros pour le mobilier) ne font l’objet d’aucune base consultable par le public. Ces certificats ne contiennent pourtant aucune donnée nominative et sont délivrés, au nom du ministère de la Culture, par quelques conservateurs de musées parisiens. La pratique administrative est de refuser systématiquement leur communication. Leur publication de plein droit s’impose.

3. Quelle appréciation portez-vous sur les dispositions de l’article 3, qui prévoit la mise en place d’une commission départementale assurant un examen collégial des dossiers litigieux ? Quels sont selon vous les acteurs qui doivent prioritairement être associés à cette commission ?

L’articulation de cette commission avec les avis rendus par la CRPA ne nous semble pas évidente.
Améliorer les mécanismes d’explication et de concertation en amont des décisions des ABF nous semblerait plus utile. Amender également l’ergonomie de l’Atlas des patrimoines pour le public serait souhaitable. A titre d’exemple, voici ce que propose l’UDAP des Yvelines, qu’il serait bon de faire connaître et de systématiser en augmentant les effectifs des ABF pour multiplier les « consultations préalables » :
« Vous êtes un porteur de projet situé en espace protégé/patrimonial
• Vous souhaitez obtenir des renseignements sur la situation/localisation de votre projet ? Consultez L’atlas des Patrimoines
• Vous souhaitez prendre contact pour une consultation préalable ? Référez-vous à la carte de répartition territoriale ci-après pour un premier contact téléphonique. En fonction de l’enjeu patrimonial, la consultation préalable pourra ensuite être traitée par email par notre équipe ou donner lieu à un rdv.
• Vous souhaitez obtenir des explications sur un avis rendu ? Ou bien formuler un recours ? Contactez-nous. »

4. La rédaction proposée pour l’article 4 vous paraît-elle de nature à répondre à la préoccupation exprimée par la mission d’information, qui est de faire de la rénovation respectueuse des spécificités du bâti ancien un objectif partagé entre tous les professionnels de l’architecture, au-delà des seuls ABF ?

Pas d’objection de notre point de vue.

5. Quelles autres observations souhaitez-vous porter à la connaissance du Sénat ? Ce texte pourrait-il être enrichi d’autres dispositions ?

La question des effectifs des ABF, afin de pouvoir présenter, en amont des décisions, la politique patrimoniale mise en œuvre localement, ainsi que de permettre la tenue de « consultations préalables » avant avis, nous semble centrale et être le véritable problème.
Par ailleurs, il n’est pas possible de vouloir améliorer le système des avis des ABF tout en multipliant les exceptions à leur compétence. Le système d’avis des ABF a l’intérêt d’offrir une vision cohérente sur l’ensemble des sujets d’urbanisme, permettant de garantir une esthétique d’ensemble. Il convient, par conséquent, d’abroger l’article L. 632-2-1 du code du patrimoine, siège de ces exceptions, introduit en 2018 par la loi ELAN. Celles-ci doivent encore être étendues aux panneaux photovoltaïques (ce qui n’est pas admissible).

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