Résultats de l’audit patrimonial pour « une meilleure valorisation des patrimoines historiques, culturels, naturels et agricoles de l’ouest versaillais »

Sites & monuments et Yvelines Environnement, associations reconnues d’utilité publique et agréées pour la protection de l’environnement, ont eu le plaisir d’accueillir Cyrille Cobert dans leurs locaux pour un stage de fin d’études à l’AgroParisTech. Pendant ses 6 mois de stage, Cyrille a ainsi exploré - en recueillant les témoignages des acteurs concernés - les "Conditions et moyens d’une meilleure valorisation des patrimoines historiques, culturels, naturels et agricoles de l’ouest versaillais".
Voici une présentation des conclusions de son audit, consultable in extenso à la fin de cet article avec le document illustré établi à l’occasion de sa restitution.
JL

Pierre Patel (1604-1676), vue cavalière de l’ouest versaillais (1668). En arrière-plan, l’allée de Villepreux guide le regard vers l’infini. Le château semble occuper le centre d’un écrin, projetant le regard vers l’ouest, dont les reliefs sont ici représentés de façon exagérée. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Le prolongement naturel du parc de Versailles en quête d’une identité

La Plaine de Versailles, c’est avant tout la perspective monumentale imaginée par Le Nôtre, que le visiteur, émerveillé, découvre depuis la Galerie des Glaces. Sous l’Ancien Régime, l’allée de Villepreux était bordée d’arbres, guidant le regard vers l’infini. Elle est l’une des cinq allées constituant la « main du Roi », témoignant de l’emprise symbolique de ce Château sur son territoire. Celle-ci s’avère également bien réelle, en particulier lorsqu’en 1683, Louis XIV décide de clore son Grand Parc des chasses de 8600 hectares, englobant quelques villages. Par glissement sémantique, le nom de Grand Parc est aujourd’hui donné au Petit Parc au sens historique. Le nom de la communauté d’agglomération Versailles Grand Parc, ainsi que la création de l’association des Amis du Grand Parc, rappellent l’existence de cette entité dont il ne reste que quelques vestiges, mais certains prônent le retour des appellations historiques à même de conférer une identité à cet ensemble historique et naturel.

Délimitations du Grand Parc (en noir), et la « main du Roi » (en vert).
Image issue du manifeste « Versailles, une nature à reconquérir »
rédigé par les associations Sites & Monuments et Yvelines Environnement.

Revenons à l’ouest versaillais, dont la Plaine de Versailles ne constitue que la partie est, si l’on déplace son centre de gravité. Compte-tenu de sa richesse patrimoniale, cette introduction à la plaine fait l’objet d’une triple protection :

  • En 1964, la loi Malraux définit le périmètre du « trou de serrure » comme relevant des abords du Château. Chaque projet au sein de ce périmètre est ainsi soumis à avis conforme de l’architecte des bâtiments de France, lorsqu’un lien visuel est établi avec le domaine classé ;
  • En 1979, le domaine de Versailles, ainsi que l’allée de Villepreux, sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO ;
  • En 2000, le « site classé de la Plaine de Versailles » voit le jour sur 2650 ha. À compter de cette date, tout projet dans cet ensemble sera examiné par la commission départementale des sites qui émettra un avis, la décision finale revenant au ministre de l’Environnement ;
  • La délimitation en cours des domaines nationaux de Versailles et de Marly (loi LCAP de 2016), protection la plus élevée du code du patrimoine, devrait conférer aux emprises étatiques inaliénabilité, classement au titre des monuments historiques et inconstructibilité de principe (celles dévolues aux collectivités locales ou à des particuliers étant ipso facto ISMH et préemptables par l’État).
    Au-delà de la diversité des types et des acteurs de ces protections, leur articulation défaillante a été soulignée par un avis de la Commission Supérieure des Sites, Perspectives et Paysages (CSSPP) demandant une meilleure couverture de l’ouest versaillais, notamment des terrains de Pion (partie nord) et de Santos-Dumont à Saint-Cyr.
Une mosaïque de protections autour du Château de Versailles. On distingue, entre autres, en marron, le domaine de Versailles classé au titre des Monuments Historiques ; le périmètre du « trou de serrure » tracé en orange et, en vert à l’ouest, le site classé de la Plaine de Versailles. Dans Versalia n°6, 2003, p. 54.

Tous s’accordent sur la nécessité de préserver un site si exceptionnel, mais peu se reconnaissent dans ces trois protections. Aucune ne recouvre ce que les habitants entendent par « Plaine de Versailles », à savoir l’entité délimitée très clairement à l’est, au sud et au nord, respectivement par la grille du Château, les coteaux forestiers de Bois-d’Arcy et de Marly, mais de manière beaucoup plus floue à l’ouest.

La vallée de la Mauldre est une délimitation possible. Elle-même dotée d’une forte identité compte-tenu de sa riche histoire plus que millénaire, elle marque, pour beaucoup d’acteurs, une rupture franche. A l’est, le territoire est clairement marqué par l’influence de Versailles et de Paris. La périurbanisation gagne du terrain : des quartiers comme le Val des Quatre Pignons à Beynes ont été construits dans les années 1970 ex nihilo, et le mitage se poursuit. En revanche, l’agriculture résiste, répondant efficacement à cette nouvelle donne démographique et sociologique en proposant des circuits courts et en développant des initiatives très intéressantes d’agriculture biologique, de cueillette ou même de viticulture, après plus d’un siècle d’absence.

Deux bourgs de la vallée de la Mauldre
Beynes, son château et le village. Photo Cyrille Cobert.
Maule, sa place principale et son église à l’arrière-plan. Photo Cyrille Cobert.

À l’ouest de la Mauldre, le territoire est plus rural, émaillé de petits villages qui conservent leur authenticité. Paris est plus éloigné, mais les pressions ne sont pas inexistantes pour autant. Pour cette raison, couplée à des déterminants naturels, historiques voire identitaires, nombreux sont les acteurs pour qui il serait logique de poursuivre la zone d’étude jusqu’à la vallée de la Vaucouleurs. Il s’agirait alors de reconsidérer le projet de Zone naturelle d’équilibre (ZNE) de la Plaine de Versailles. Cette zone, définie par le conseil régional d’Île-de-France en 1975, en même temps que cinq autres, qui formaient alors une marguerite autour de Paris, elle avait pour objet d’assurer des espaces de respiration pour des citadins franciliens de plus en plus nombreux, en les préservant d’une urbanisation trop intense et anarchique. La cohérence de cette entité a donc été démontrée par le livre vert de la Plaine de Versailles, rédigé à cette occasion, et elle semble toujours d’actualité, tout comme le concept d’équilibre est particulièrement à l’ordre du jour à l’heure du Grand Paris.

Vues de deux villages à l’ouest de la Mauldre
Montainville et son auberge, si chère à Bourvil. Photo Cyrille Cobert.
Jumeauville et son lavoir. Photo Cyrille Cobert.

Un territoire rural qui entend le rester, à l’épreuve des pressions du Grand Paris

Commençons par un point démographique. Entre 1968 et 2019, l’Île-de-France a accru sa population de près d’un tiers, passant de 9 250 000 à plus de 12 250 000 habitants. On observe toutefois que la population parisienne a diminué de plus de 16 % et que la tension démographique a été particulièrement ressentie sur les départements de grande couronne : les Yvelines ont connu une augmentation de près de 70 %.

Le déséquilibre est-ouest est une réalité, en témoignent les données relatives à la Seine-et-Marne et aux autres départements (ancienne Seine-et-Oise). Vrai d’un point de vue quantitatif, ce constat l’est également au niveau sociologique. Alors que les vents dominants orientaient davantage les populations aisées à l’ouest des métropoles européennes qui ne souffraient guère des nuisances liées aux fumées d’usine, ce constat est toujours vérifié aujourd’hui dans le cas parisien. À l’exception du sud du Val de Gally, où la mixité sociale est plus importante, les populations de la Plaine sont plutôt aisées. Saint-Nom-la-Bretèche est souvent mentionnée, à ce titre, comme l’exemple typique, avec un revenu médian parmi les plus élevés de France et un golf très célèbre accueillant des compétitions internationales.

L’accroissement démographique ne semble pas prêt de s’arrêter, constituant une réelle menace pour la ruralité à laquelle beaucoup sont pourtant attachés. Il y a une vraie volonté de « se mettre au vert » de la part de populations travaillant à Paris ou en proche banlieue, qui préfèrent faire des allers-retours quotidiens entre leur domicile et leur travail pour gagner en qualité de vie, ce qui pose différents problèmes. L’extension du Grand Paris, la proximité de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines et des deux opérations d’intérêt national (OIN) Paris-Saclay et Seine-Aval sont autant de pressions potentielles pour un territoire déjà largement soumis au mitage.

Des objectifs communs, mais un système d’acteurs divisé

L’audit patrimonial établit un attachement partagé pour cette Plaine et une ferme intention d’en conserver les caractéristiques rurales, agricoles, naturelles et historiques. Néanmoins, une division à tous niveaux semble aller à l’encontre d’une gouvernance optimale.

Commençons par le domaine de Versailles et ses abords immédiats. Le château, les jardins et le Petit Parc sont affectés au ministère de la Culture et confiés à l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles (EPV) qui en assure la gestion. Notons que, depuis 2009, il gère aussi le domaine de Marly, rapprochement souvent salué car allant dans le sens de l’histoire, même si beaucoup déplorent que les liens soient encore trop faibles. En revanche, l’arboretum de Chèvreloup est affecté au ministère chargé de l’Environnement, le Potager du Roi à celui chargé de l’Agriculture et les terrains militaires de Satory, ainsi que les Matelots et les Mortemets, aux Armées. Ce démembrement a des conséquences très concrètes, notamment la fermeture de grilles empêchant, depuis le parc du Château, d’aller à l’arboretum, au Potager du Roi, sur les terrains classés des Matelots et des Mortemets ou sur la Plaine. L’EPV est, ainsi, souvent considéré comme un « État dans l’État », agissant exclusivement dans ses délimitations administratives, même si certaines de ses équipes, par leurs réflexions et leurs travaux, esquissent une vision plus globale, au nom de logiques patrimoniales et environnementales.

Des divisions administratives à toutes échelles.
Les ministères affectataires se « partageant » le domaine de Versailles, source d’un cloisonnement administratif (figure personnelle incluse au rapport et au diaporama).
Les intercommunalités yvelinoises. La plaine de Versailles, quelle que soit la délimitation retenue, appartient à plusieurs d’entre elles. Image Wikipedia.

Aucune entité administrative ne se recoupe avec la Plaine de Versailles. A titre d’illustration, la zone naturelle d’équilibre, qui reprend son nom, est à cheval sur six intercommunalités, sur les quatre arrondissements yvelinois et sur quatre circonscriptions électorales.

Les associations historiques et de protection de l’environnement sont très nombreuses. Si leur champ d’action reste encore bien souvent la commune, beaucoup ont acquis une conscience de la Plaine de Versailles comme un tout faisant sens et s’affranchissent de leurs limites originelles. En 1972 est née l’association des Amis et Usagers de la Plaine de Versailles, qui fédérait un certain nombre d’associations locales de protection de l’environnement à l’échelle de la zone naturelle d’équilibre, avec un objectif commun : maintenir le caractère rural de chacun des villages et, pour ce faire, lutter contre les projets de trop grande envergure qui rompraient les équilibres territoriaux, notamment les ZAC. Suite à un audit patrimonial mené par les équipes de l’UFR « gestion du vivant et stratégies patrimoniales » de l’INA-PG, l’association patrimoniale de la Plaine de Versailles et du Plateau des Alluets (APPVPA) a vu le jour en 2004. L’idée était de créer une structure favorisant le dialogue entre élus, agriculteurs et société civile qui en constitueraient les trois collèges. En réaction, l’association de protection de l’environnement de la Plaine de Versailles (APEPV) reprenait les statuts des « Amis et Usagers de la Plaine de Versailles », refusant d’adhérer à l’APPVPA qui favoriserait les ententes entre élus, pouvant délivrer les permis de construire, et les agriculteurs disposant du foncier, son troisième collège (celui de la société civile) étant perçu comme un « strapontin ». Beaucoup sur la Plaine ne partagent pas cette opinion et se réjouissent de l’existence de cette association patrimoniale qui permet de mener à bien des projets en faveur de l’agriculture, de la biodiversité, de l’écotourisme, de proposer des festivités locales...

Carte des chasses, version de campagne (vers 1787). L’écrin boisé, accentué par la topographie, canalise et prolonge la composition versaillaise vers l’ouest. Coll. Julien Lacaze, photo musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Dès lors, que faire ? Des rencontres entre acteurs pour favoriser un projet de territoire

Les acteurs sont divisés et, pourtant, l’audit patrimonial révèle qu’ils partagent un même attachement, des craintes et un espoir communs. Ils formulent des exigences et objectifs qui sont bien souvent similaires. Tous se retrouvent notamment sur la nécessité de réfléchir de façon transversale sur les aspects historiques, agricoles, naturels sur cette Plaine où ces enjeux sont intimement imbriqués.

Sites & Monuments et Yvelines Environnement réfléchissent depuis plusieurs années à la pertinence d’un parc naturel régional (PNR). En plus de répondre à cette exigence de transversalité, celui-ci permettrait de redonner une identité à cette Plaine et, de ce fait, participer à un attachement encore plus fort, notamment chez les populations citadines venant y habiter ou s’y promener. Cela éviterait également l’aspect « vide sur la carte » entre des territoires à forte valeur ajoutée économique (la métropole parisienne, Saint-Quentin-en-Yvelines et les deux OIN) ou identitaire (le PNR de la Haute-Vallée de Chevreuse et le PNR du Vexin français), reportant sur la plaine de Versailles des dégradations qui ne seraient pas acceptées ailleurs (irrespect des cultures, dépôts sauvages, infrastructures impactantes...) Si l’idée d’un PNR semble susciter un réel engouement chez beaucoup d’acteurs, certains craignent d’éventuelles contraintes figeant les activités, notamment agricoles. Ces craintes doivent être entendues, et la charte doit associer les différents acteurs du territoire de telle sorte qu’un équilibre entre protection de la nature et activités humaines - nécessairement au cœur de la philosophie d’un PNR, habité et exploité contrairement au cœur d’un parc national - puisse être trouvé.

Carte Zones naturelles d’équilibre (ZNE) (ces dernières sont entourées de pointillés noirs). Dans Monique Toublanc and Sophie Bonin, "Planifier les trames vertes dans les aires urbaines".
Carte des PNR franciliens. La Plaine de Versailles est la seule ZNE ne faisant
pas l’objet, pour tout ou partie, d’un PNR en vigueur ou en projet. Image extraite du site PNR de la Haute-Vallée de Chevreuse.

D’autres propositions ont été entendues au cours des entretiens. L’APPVPA travaille sur un projet de réserve de biosphère reposant sur une gradation entre des espaces strictement protégés, des zones tampons les jouxtant et une aire de transition, chacun devant se compléter. Ces sites sont reconnus internationalement par l’UNESCO. Une Opération Grand Site (OGS) pourrait permettre, entre autre, de répondre aux pressions humaines sur l’ancien Grand Parc, dont les agriculteurs se plaignent parfois, et de rationaliser l’espace situé entre la Grille Royale et l’autoroute. Un pays d’art et d’histoire pourrait être un facteur de reconnaissance de l’exceptionnel patrimoine de la Plaine de Versailles. Au regard des menaces, de mitage au premier chef, quelques-uns prônent une protection contraignante, qu’il s’agisse d’une extension du site classé vers l’ouest, voire d’un dispositif semblable à la Zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF), telle qu’elle existe sur le Plateau de Saclay, qui en interdit l’urbanisation.

Peut-être une piste de solution passera-t-elle par une combinaison de modes d’actions précédemment cités. Il existe des précédents, comme Bibracte, où on trouve un site classé, une OGS et un PNR ; le Vexin français où le pays d’art et d’histoire reprend les contours du PNR ; ou encore le Gâtinais où PNR et réserve de biosphère se recoupent en grande partie. En tout cas, aucune action ne saurait être satisfaisante si elle n’était pas au préalable discutée, amendée puis acceptée par les acteurs concernés. Qu’ils soient agriculteurs, entrepreneurs, élus, chercheurs, issus du monde associatif ou particuliers s’intéressant à leur environnement, tous ont beaucoup à apporter. L’audit patrimonial a déjà permis, grâce à une méthode robuste et éprouvée, une première mise à plat, et sa restitution a réuni une vingtaine de personnes qui ont pu prendre conscience de ce qui les unissait, à savoir un amour commun de la Plaine – le terme n’étant pas hyperbolique – mais aussi commencer à évoquer les raisons de leurs désaccords.

Je ne peux qu’espérer que mon travail et que cette rencontre constitueront les fondations solides d’un projet de territoire qui ne demande qu’à être valorisé et à renaître, sur la base de son potentiel et de la motivation des acteurs autour de lui. Qu’ils retrouvent le chemin du dialogue, de la concorde autour d’un dessein commun, à savoir la valorisation de cet espace rural plein de charme et d’histoire, aux portes d’une capitale qui en a elle aussi besoin !

Cyrille Cobert, Agro 2022

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