Une décision sensée : Le projet éolien Eolis Les Mûriers rejeté par le Conseil d’État

Le 2 mai 2025, le Conseil d’État a déclaré irrecevable le pourvoi en cassation de la société Eolis Les Mûriers (filiale d’Engie Green) qui contestait, depuis 2022, le refus du préfet du Pas-de-Calais pour son projet d’implantation de six éoliennes de 150 mètres de hauteur sur le territoire des communes d’Etaing, Dury et Récourt.

Le samedi 25 mai 2025, la pluie a pris un « malin » plaisir à arroser les valeureux combattants venus célébrer l’événement autour du menhir de la « pierre du diable ». Dernière petite épreuve, Ô combien dérisoire eu égard la lutte acharnée menée depuis près de cinq années par ces petits citoyens anonymes contre un géant industriel implacable qui a fini par rendre les armes après trois défaites successives...

Les membres du collectif ASPECT Val de Sensée

Une mobilisation remarquable et des soutiens de taille

En 2022, suite à un refus préfectoral, le promoteur avait déposé un recours près de la Cour administrative d’appel de Douai. En février 2023, avec l’appui et l’aide de nombreuses communes impactées par le projet et d’associations partenaires (l’Amicale des Huttiers de la Sensée, l’APEPAC de Gœulzin, la Fédération Stop Eoliennes Hauts de France, le GON (Groupe ornithologique et naturaliste des Hauts de France), la CMNF (Coordination mammalogique du Nord de la France), Sites & Monuments (au niveau national), le collectif ASPECT Val de Sensée avait déposé une requête auprès de la Cour administrative d’appel de Douai afin d’appuyer la décision du Préfet. En août 2024, la cour administrative confirmait le refus préfectoral. En octobre 2024, Engie Green formait un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État qui, le 2 mai dernier, le déclare irrecevable actant par là-même le rejet définitif du projet.

Si ce combat fut long, il est nécessaire de rappeler et de saluer tous les acteurs qui ont contribué à cette victoire. En effet, dès l’annonce du dépôt du projet éolien par la société Eolis Les Mûriers, la mobilisation s’était organisée, bénéficiant de très nombreux soutiens. Ainsi, des personnalités politiques et des présidents d’associations (dont Xavier Bertrand, président de la Région des Hauts de France ; Frédéric Nihous, conseiller régional délégué à la politique de l’Energie ; Bruno Duvergé, député de la 1ère circonscription du Pas-de-Calais ; Hubert Degrève, président de l’Association des maires ruraux du Pas-de-Calais ; Charles Beauchamp, président de la CLE du SAGE de la Sensée ; Mickaël Marcant, président de l’Amicale des huttiers de la Vallée de la Sensée) avaient manifesté leur opposition. Des pétitions avaient été lancées recueillant au total plus de 1000 signatures. Sept communes limitrophes avaient voté contre ce projet. De très nombreuses contributions avaient exprimé leur opposition dans le cadre de l’enquête publique. Enfin, l’exceptionnelle participation financière de citoyens, de communes et d’associations (155 donateurs) a largement contribué à la victoire finale, en permettant à l’ASPECT d’ester en justice.

Les services de l’État ont également été un soutien de taille. L’avis très critique de la MRAe (Mission régionale d’autorité environnementale) et les avis négatifs de la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer), de l’UDAP 59 et 62 (Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine) et du Pôle Site et Paysages de la DREAL (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) ont pesé dans la décision de refus du préfet.

Une atteinte à des sites historiques majeurs reconnue et confirmée

Extrait de La Voix du Nord, édition du 5 mai 2025

Dans sa décision du 2 mai, le Conseil d’État a suivi les arguments de la CCA de Douai qui confirmait le refus préfectoral du projet au motif que « Les installations projetées porteraient atteintes à des sites historiques majeurs : (…) le menhir de la « pierre du diable », classé monument historique, qui constitue depuis plusieurs millénaires un repère visuel dans la plaine dont il est une des seules composantes verticales ».

Extrait de La Voix du Nord, édition du 30 mai 2025

L’impact sur la biodiversité : un oubli regrettable

Le collectif regrette que seuls les impacts paysagers, notamment l’atteinte au patrimoine, aient été retenus par les juges du Palais-Royal, sans retenir les impacts potentiels considérables sur la biodiversité. Il est vrai que le juge administratif suprême, n’étant pas juge du fait, pouvait difficilement retenir cet argument. Les dérogations à la destruction d’espèces protégées prévues dans la législation actuelle et la RIIPM (Raison impérative d’intérêt public majeur) ne facilitent pas la tâche et laissent hélas aux promoteurs éoliens une belle marge de manœuvre.

Mais réjouissons-nous car grâce à notre chère Pierre du diable et nos monuments, la vie de nombreux oiseaux et chauve-souris est pour l’heure épargnée !

Les Hauts-de-France : un ras-le-bol éolien !

Cette mobilisation a permis de mettre en lumière le rejet de plus en plus fort de l’implantation de parcs éoliens dans notre région. Alors qu’elle représente à peine 6 % du territoire national, la région Hauts-de-France recense à elle seule près de 30 % de la production éolienne installée dans notre pays. Un certain consensus émerge pourtant aujourd’hui, toutes tendances politiques confondues : notre région a suffisamment donné en matière d’éolien industriel.

Réalisée en 2021, une enquête de Greenpeace, « Electricité : votre région est-elle verte ? » classait la région Hauts-de-France en tête, ex aequo avec l’Île-de-France, avec la note de 10/10, c’est dire. L’ONG concluait que l’arrêt de la construction de nouveaux parcs éoliens pourrait être compensé par le remplacement des anciennes éoliennes par des éoliennes plus puissantes (c’est-à-dire plus hautes !) et le développement d’autres énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque sur toitures.

En conclusion, nous retiendrons que cette décision du Conseil d’État (ainsi que d’autres décisions récentes de la CAA de Douai, qui avait jusqu’à fin 2024 tendance à annuler systématiquement les refus préfectoraux) reflète peut-être le début d’une prise de conscience générale, tout au moins sur le plan régional : trop c’est trop !

Conformément à ses missions, le collectif ASPECT poursuivra son combat dans toute la vallée de la Sensée pour sauvegarder le patrimoine culturel, archéologique et touristique, les espaces naturels et les aires protégées, l’environnement écologique et la biodiversité, la qualité et l’identité culturelle des paysages, le cadre de vie, la tranquillité, la santé et la sécurité des habitants, non seulement contre des projets éoliens, mais aussi contre tous les projets qui pourraient leur porter atteinte.

Pour le Collectif ASPECT Val de Sensée

Bertrand Lecocq, président
Isabelle Richir, association Sites & Monuments

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