Vente à la découpe du château de Vaux-le-Pénil : mobilisation pour préserver une riche mémoire

Château de Vaux-le-Pénil en bord de Seine.

A cinq kilomètres seulement du château de Vaux-le-Vicomte, le château de Vaux-le-Pénil, édifié en 1766 sur une base médiévale (il est attesté au XIe siècle), est notamment connu pour l’un de ses propriétaires, Emmanuel-Marie-Michel-Philippe Fréteau de Saint-Just (1745-1794), l’un des rédacteurs de la Déclaration des droits de l’Homme, mais aussi pour avoir appartenu après 1890 au banquier Michel Ephrussi (1844-1914), puis à sa fille la princesse May de Faucigny-Lucinge (1880-1964), qui le réaménagèrent somptueusement ou, plus récemment, pour avoir abrité un musée du Surréalisme comportant des œuvres majeures.

Château de Vaux-le-Pénil en bord de Seine. Carte postale, vers 1900.

Mais l’objectif du Souvenir Français - comité de Melun Val-de-Seine vise à préserver le patrimoine historique exceptionnel constitué par le bureau où le Maréchal French reçut, le 5 septembre 1914, le généralissime Joffre, venu lui demander, dans une ambiance tendue, l’engagement total du corps expéditionnaire britannique à la bataille de la Marne qui commençait alors.

Gustave-William Lemaire (1848-1928), château de Vaux-le-Pénil, propriété de M. Michel Ephrussi, vers 1900-1920. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

Cette pièce est restée dans son état de la première Guerre Mondiale (tenture identique), à l’instar du salon de l’hôtel de ville de Doullens où fut acté le commandement interallié du général Foch en 1918.

Le château bénéficie d’une protection ancienne et partielle. Ses façades, sa toiture et son parc ont été seulement inscrits au titre des monuments historiques par arrêté du 23 novembre 1946, laissant les intérieurs sans statut protecteur.

Catalogue de la vente en 1887 des boiseries (vers 1740) de l’hôtel Jacques-Samuel Bernard rue du Bac à Paris.
Façade classée au titre des monuments historiques de l’hôtel Jacques-Samuel Bernard, 46 rue du Bac à Paris.

Cette mesure est insuffisante compte tenu de la richesse des décors rapportés par Michel Ephrussi concomitamment à son achat du château en 1890. C’est alors que l’édifice devint le refuge de rares boiseries provenant de l’hôtel parisien de Jacques-Samuel Bernard (1686-1753), créées en 1740 grâce à la succession recueillie en 1739 de son père, le banquier de Louis XIV Samuel Bernard (1651-1739).

Boiseries du grand salon de l’hôtel Jacques-Samuel Bernard rue du Bac à Paris (vers 1740) remontées au Israël Museum de Jérusalem (donation Rothschild, 1969).

Cet ensemble de boiseries, parmi les plus importants créés sous la Régence, fut rendu disponible par la destruction partielle, en 1887, de son hôtel de la rue du Bac (dont la boutique Deyrolle est l’un des vestige avec sa porte cochère au chiffre SB, classée au titre des monuments historiques). Les défenseurs du patrimoine tentèrent, en vain, d’empêcher la démolition et la dispersion des boiseries (voir ici). Celles du Salon, distraites de la vente aux enchères de 1887, furent achetées par le baron Edmond de Rothschild (1845-1934) et offertes en 1969 au Israël Museum de Jérusalem où elles sont exposées. D’autres panneaux se trouvent au Musée des Arts Décoratifs à Paris ou à Waddesdon Manor en Angleterre, tandis que les grands toiles de Jean-Baptiste Oudry de la salle à manger sont conservées au musée de Strasbourg (voir ici et ici)... Cet ensemble de boiseries, notamment remonté à Vaux-le-Pénil, témoignant du goût de la Finance au XVIIIe comme au XIXe siècle, est rangé par Bruno Pons, qui en a fait l’étude, parmi les "plus somptueuses réalisations du XVIIIe siècle".

Gustave-William Lemaire (1848-1928), château de Vaux-le-Pénil, propriété de M. Michel Ephrussi, salon revêtu des boiseries (vers 1740) de l’hôtel Jacques-Samuel Bernard, vers 1900-1920. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.
Salon de l’entrevue French-Joffre (1914) remployant des boiseries (vers 1740) de l’hôtel Jacques-Samuel Bernard rue du Bac à Paris.
Salon revêtu des boiseries de l’hôtel de Jacques-Samuel Bernard (vers 1740) où le Maréchal French reçut, le 5 septembre 1914, le généralissime Joffre, venu lui demander l’engagement du corps expéditionnaire britannique dans la bataille de la Marne.
Salon de l’entrevue French-Joffre (1914) remployant des boiseries (vers 1740) de l’hôtel Jacques-Samuel Bernard rue du Bac à Paris.

Ces panneaux voisinaient, à Vaux-le-Pénil, selon une vision éclectique propre à la fin du XIXe siècle, avec un plafond peint à fresque de l’école de Tiepolo. Ainsi, Pompeo‎ Molmenti, dans son ouvrage paru en 1911 sur Tiepolo, signale que, "dans l’ancien château de Vaux-le-Pénil, près Melun, restauré par les soins du propriétaire actuel, M. Michel Ephrussi, on peut admirer un vaste plafond (11 m. X 6 m.), le Triomphe de Vénus, où apparaît dans tout son éclat l’originalité décorative de Tiepolo".

Ce décor fait penser au plafond de Tiepolo, prélevé, avec une fresque murale, villa Contarini pour être mis en place entre 1893 et 1894 dans l’hôtel du banquier Edouard André du boulevard Haussmann (aujourd’hui musée Jacquemart-André, qui comporte également, enchâssées dans son grand salon, des boiseries de l’hôtel de Jacques-Samuel Bernard de la rue du Bac (portes et trumeau). Même époque, même milieu lié à la finance et même goût pour les assemblages improbables. Pourtant, alors que l’hôtel Jacquemart-Andre est intégralement classé au titre des monuments historiques notamment pour ses décors intérieurs depuis 1978), le château Vaux-le-Pénil est inscrit pour ses seules façades, autorisant ainsi le démembrement de ses précieux décors.

Autre strate historique, le château a abrité un musée du Surréalisme inauguré en 1980. La notice Mérimée du château indique d’ailleurs, dans la rubrique "Description historique", que des "Pièces du château ont été décorées par Salvador Dali" (et Giorgio de Chirico) pour le musée.

Gustave-William Lemaire (1848-1928), château de Vaux-le-Pénil, propriété de M. Michel Ephrussi, avec plafond rapporté de Tiepolo vers 1900-1920. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

Les propriétaires actuels souhaitent vendre au promoteur Histoire & Patrimoine (filiale du groupe Altarea Cogedim). Celui-ci entend réaliser au château 53 logements de standing avec parkings, ce qui oblige à supprimer plusieurs arbres dans le parc (abattage qui a déjà commencé). Les lecteurs de Sites & Monuments et de La Tribune de l’Art connaissent bien ce promoteur qui a déjà vendu à découpe la Surintendances des Bâtiments de Versailles, le château de Pontchartrain et a tenté de faire subir le même sort au château de Grignon.

Gustave-William Lemaire (1848-1928), château de Vaux-le-Pénil, propriété de M. Michel Ephrussi, vers 1900-1920. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.
Gustave-William Lemaire (1848-1928), château de Vaux-le-Pénil, propriété de M. Michel Ephrussi, vers 1900-1920. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

Le projet prévoit en outre la cession à la commune de Vaux-le-Pénil d’un bois de dix hectares afin de ne pas surcharger la future copropriété. La modification du PLU a été lancée en décembre 2024 pour permettre le déclassement des parcelles protégées et y établir les parkings. Le permis de construire devrait être déposé prochainement.

Projet de vente à la découpe du château de Vaux-le-Pénil (rez-de-chaussée) du promoteur Histoire & Patrimoine (groupe Altaréa-Cogedim).

Ce projet avait déjà été retardé par l’intervention de l’ABF concernant les parkings et, surtout, du ministère de l’environnement, au sujet de la faune et de la flore (le château de Vaux-le-Pénil et son parc ont été classés au titre des Sites le 8 décembre 1964).

Classement au titre des Sites de Vaux-le-Pénil le 8 décembre 1964.

Le Souvenir Français national soutient entièrement la démarche de son comité de Melun Val-de-Seine questionnant ce projet. La ministre de la Culture et la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants ont exprimé rapidement leur intérêt, renvoyant vers l’administration déconcentrée. Mais la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’Ile-de-France, faisant semble-t-il toute confiance au promoteur, adopte l’attitude de spectatrice ou d’accompagnatrice du démantèlement en cours : "Ni les intérieurs du château ni les objets qu’il conserve ne sont protégés au titre des monuments historiques. En outre, la protection au titre des monuments historiques ne vaut pas contrôle sur les usages d’un édifice dès lors que la conservation du monument n’est pas menacée".

La DRAC incite en définitive simplement les associations à rechercher un accord avec le promoteur (qu’elle confond avec le propriétaire). L’administration n’envisage nullement de protéger les précieux intérieurs du château ou de susciter un projet vertueux d’ouverture au public. Pourtant, au-delà des promesses de conservation du promoteur, comment empêcher le propriétaire du lot comportant les précieuses boiseries de les vendre ? On comprend les conséquences de cette doctrine se satisfaisant des solutions "clefs en main" des "promoteurs monument historique". A moyen terme, de nombreux monuments proches de Paris risquent d’être convertis en logements et ainsi privés de leur raison d’être comme de leur attractivité. Il s’agit d’une application de la technique du façadisme - pourtant décriée en matière d’urbanisme - aux monuments historiques. Rappelons qu’un amendement est prêt, permettant de rétablir l’agrément, supprimé en décembre 2017, subordonnant l’accès à la fiscalité monument historique à une autorisation du ministère des Finances sur avis du ministère de la Culture en cas de vente à la découpe. Combien de cas de démantèlement faudra-t-il pour que législateur soit à nouveau saisi de cette question ?

C’est contre ce gâchis, menaçant de priver Vaux-le-Pénil de toute attractivité, malgré sa si riche mémoire, que le comité de Melun Val-de-Seine du Souvenir Français et Sites & Monuments s’élèvent. Ils demandent notamment l’extension de la protection au titre des monuments historiques aux intérieurs du château et un projet maintenant l’unité du monument et de son domaine.

Colette Llech, présidente du comité de Melun Val-de-Seine du Souvenir Français
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

Bibliographie
Pompeo‎ MOLIMENTI, Tiepolo, la vie et l’œuvre du peintre, librairie Hachette et Cie, Paris, 1911
Bruno PONS et Anne FORRAY-CARLIER (dir.), La Rue du Bac, Paris, Délégation à l’action artistique de la ville de Paris, 1991
Bruno PONS, Les Grands décors français reconstitués en Angleterre, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et en France, Dijon, Faton, 1999