Audition du 30 avril 2025 par l’Assemblée Nationale sur la fiscalité du patrimoine et ses contreparties pour le public

Conformément à sa politique statutaire de transparence (art. 2), Sites & Monuments livre ici la teneur de son intervention devant l’Assemblée Nationale sur la fiscalité du patrimoine et ses contreparties pour le public.
Notre association demande tout d’abord à ce que l’Etat reprenne le contrôle de la fiscalité de la vente à la découpe des édifices patrimoniaux, que ce soit dans le cadre des défiscalisations "Malraux" ou "Monument historique". Ces opérations, qui peuvent être, selon les cas, bénéfiques (bâtiments industriels, grands bâtiments collectifs militaires ou religieux, etc) ou néfastes (châteaux, hôtels particuliers, etc) pour patrimoine, ne peuvent reposer sur le libre choix des promoteurs immobiliers. Les pouvoirs publics devraient, au contraire, pouvoir flécher cette dépense fiscale vers les monuments qui en ont besoin, ceux en état de péril notamment, quitte à augmenter taux de la défiscalisation en vigueur. En contrepartie, l’avis conforme des Architectes de bâtiments de France sur les bâtiments en péril leur serait restitué (abrogation de l’article L. 632-2-1 du code du patrimoine).

Nous plaidons également pour que la contrepartie des l’avantages fiscaux octroyés aux propriétaires de monuments historiques soit une ouverture au public réelle, qui ne puisse, en particulier, être satisfaite par une simple visibilité depuis la voie publique ou dans le cadre d’une privatisation du monument.

Dans le but de renforcer l’attractivité des monuments historiques, notamment ruraux, nous proposons de neutraliser l’IFI sur les monuments ouverts au public et, concernant les meubles, de créer une dation et une donation de servitude d’attachement à perpétuelle demeure. Ces nouvelles mesures fiscales compenseraient la perte de valeur de ces meubles, incessibles indépendamment de l’immeuble auquel ils sont attachés, tout en permettant à l’Etat d’obtenir leur dépôt périodique (à ces frais et risques) dans un musée, lorsqu’ils ne sont pas accessible pour le public au sein du monument concerné.
JL

Sites & Monuments - Audition du 30 avril 2025, 11h - Vous êtes invités à répondre aux questions posées par un courriel unique, transmis à M. Philippe LOTTIAUX et adressé, en copie, à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Questions relatives aux dépenses fiscales concernant le patrimoine foncier détenu par les personnes privées

1. Concernant la réduction d’impôt « Malraux », l’application de deux taux différents pour les Sites patrimoniaux remarquables (SPR) dotés d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) (30 %), et ceux dotés d’un Plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP), vous paraît-elle justifiée par le degré variable de contrainte de ces deux catégories de plan ?

Membre de la première section de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA), Sites & Monuments considère que la différenciation des taux est importante afin d’inciter les communes à choisir un Site patrimonial remarquable (SPR) doté d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), susceptible de protéger l’intérieur des immeubles, plutôt qu’un SPR à Plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP), plus consensuel, puisque protégeant la seule enveloppe des immeubles (façade et toiture).
Au-delà du maintien de la différenciation des taux, Sites & Monuments plaide pour la fin du libre choix par les promoteurs des immeubles objet des rénovations défiscalisées. Ces édifices, vendus à la découpe, perdent en effet beaucoup de leur substance patrimoniale à l’occasion de ces opérations radicales : distribution des pièces modifiée, menuiseries anciennes supprimées, placoplâtrisation des intérieurs, etc. L’obligation de louer encourage ce phénomène de remise à neuf. Les immeubles choisis par les promoteurs « Malraux » sont généralement dans un état satisfaisant, alors que ceux en situation de péril, qui justifieraient de telles opérations, sont délaissés. Il serait ainsi plus pertinent de flécher la fiscalité vers ces derniers, quitte à augmenter ponctuellement le taux de la réduction d’impôt (par exemple jusqu’à 60 % du montant des travaux). Le dispositif Malraux serait ainsi mis au service des DRAC et d’un urbanisme opérationnel de récupération des immeubles ou quartiers en péril. L’effet de la fiscalité serait ainsi concentré sur les véritables problèmes urbains. En contrepartie, le pouvoir d’autorisation de l’ABF sur les immeubles en péril sera rétabli par une abrogation de l’article L. 632-2-1 introduit en 2018 (loi ELAN) dans le code du patrimoine.
Dans le même ordre d’idées, concernant les opérations de vente à la découpe défiscalisée de monuments historiques, il est impératif de rétablir l’agrément préalable du ministère du Budget, sur avis du ministère de la Culture, supprimé en décembre 2017 de l’article 156 bis du code général des impôts. L’Etat doit en effet pouvoir choisir les monuments dont les travaux de vente à la découpe font l’objet d’une défiscalisation.
Ainsi, le château de Pontchartrain (Yvelines), demeure d’un chancelier de Louis XIV et d’un premier ministre de Louis XVI, a-t-il été privé de ses riches collections d’œuvres d’art pour être divisé en 86 logements, implantés jusque dans sa chapelle, ses abords devant être dénaturés par la création de nombreux parkings, son parc, œuvre fameuse d’André Le Nôtre, avec un axe de 13 km de long, étant cédé à part. Le domaine clos de murs de Grignon (Yvelines), château, parc, terres et bois, berceau de l’agronomie française sous le roi Charles X, devait également être loti, selon le même mécanisme fiscal, avant la suspension de sa cession par l’État. C’est aujourd’hui le cas du château de Vaux-le-Pénil (Seine-et-Marne).
Voir : s_m_227_-_j._lacaze_-_vente_a_la_decoupe_des_monuments_historiques.pdf

Ces opérations, qui induisent pourtant un manque à gagner fiscal pour l’État, ne sont pas conformes à l’intérêt général. Les travaux de vente à la découpe de monuments historiques, dont la défiscalisation bénéficie aux clients de promoteurs immobiliers, se distinguent ainsi fondamentalement des opérations classiques de restauration par un propriétaire respectant l’unité et l’attractivité d’un ensemble protégé.
Une vente à la découpe défiscalisée peut toutefois être utile, dans certaines circonstances, à la préservation du patrimoine bâti. Le lotissement défiscalisé de certains monuments, à l’origine conçus pour être collectifs (grands bâtiments religieux, militaires ou même industriels), peut en effet contribuer à leur réaffectation. Des casernes - à l’instar de celle de Miribel à Verdun (détruite en juin 2021) - auraient ainsi pu être conservées par une inscription au titre des monuments historiques suivie d’un lotissement avec travaux défiscalisables.
Voir : Vente à la découpe des domaines de Pontchartrain et de Grignon : prenons le mal à la racine, modifions la loi !

C’est cette possibilité de choix des monuments dont les travaux sont encouragés par un avantage fiscal qu’il convient de retirer aux promoteurs pour le restituer à l’Etat, que ce soit en matière d’opérations « Malraux » ou « monument historique ».

2. Dans sa réponse au questionnaire du rapporteur spécial à l’automne 2024, la DGPA a affirmé que « les coûts moyens de travaux pour un immeuble patrimonial s’élèvent entre 2 800 et 3 100 € /m² taxes et honoraires compris : ces travaux sont couramment de 40 % à 50 % plus chers que dans des situations standards ». Or, le rapport de la mission conjointe IGF/IGEDD/IGAC de 2023 relatif aux réductions d’impôt « Malraux » et « Denormandie dans l’ancien » n’offre aucune telle estimation du surcoût moyen des travaux. Quelle estimation feriez-vous de ce surcoût, et sur la base de quelles données ?

Gonfler le part des travaux dans un lot éligible à une défiscalisation Malraux a pour conséquence de maximiser la portée de la réduction d’impôt. Sauf immeuble en état de péril, ces travaux excessifs ne sont pas bons pour la conservation du patrimoine. Celui-ci nécessite, en effet, des évolutions douces et progressives.

3. Commentez expliquer la faiblesse du nombre de Sites patrimoniaux remarquables (SPR) dotés d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) (92) qui apparaît particulièrement limité par rapport au nombre de SPR s’élevant à 975.

Certains maires expliquent en CNPA qu’un SPR doté d’un PSMV est plus sensible à défendre politiquement en raison de la protection des intérieurs qu’il implique. Pourtant, les exemples de PSMV co-construits avec les habitants, fiers de révéler leurs trésors et heureux de pouvoir les transmettre, notamment à l’occasion d’une vente, sont nombreux. Tout dépend en réalité des dispositifs de médiation mis en place lors de la création du plan. Devant cette attitude, la commission recommande fréquemment qu’un PSMV soit mis en place, à terme. De nombreux maires présentent d’ailleurs la mise en place d’un PVAP comme une première étape vers un PSMV, mais une telle transformation est, dans les faits, rarissime. Il y a pourtant urgence à se doter de PSMV en raison notamment des travaux d’isolation thermique qui détruisent actuellement, outre les menuiseries anciennes, de très nombreux éléments de décor intérieur.
Soulignons également la faiblesse des subvention allouées à l’élaboration de PSMV, plus couteux que les PVAP. Seulement 10 millions d’euros sont affectés au financement de ces plans et des périmètres délimités des abords (PDA) chaque année.

4. Présenter votre position relative à une éventuelle évolution, à la hausse comme à la baisse, du taux minimal de subvention des travaux par la Fondation du Patrimoine.

Ce taux de subvention minimal est de 2 % et permet d’accéder à une déduction d’impôt de 50% du montant des travaux du revenu global, tandis que l’atteinte, avec l’aide des collectivités, du taux de 20 % permet d’accéder à une défiscalisation de 100 % des travaux (ce qui peut sembler curieux). La faiblesse du taux de subvention est compréhensible, mais profite évidemment, comme déclencheur de la déduction d’impôt, avant tout aux propriétaires imposables, ce qui conduit à favoriser un certain type d’habitat au détriment notamment du bâti vernaculaire.

5. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement plafonnant à 200 000 euros le montant des déficits et charges imputables sur le revenu global au titre de monuments historiques non ouverts au public. Que penseriez-vous de l’instauration d’un tel plafonnement, à un montant similaire ?

Ce plafonnement aurait sans doute l’avantage d’inciter à l’ouverture au public des monuments, mais conduirait probablement à un désinvestissement préjudiciable aux monuments non ouverts au public. Une autre piste, plus positive, serait de conditionner la neutralisation de l’IFI sur les monuments historiques à leur ouverture au public.

6. Présenter votre position relative à l’harmonisation du taux de déduction à 100 %, que le monument soit ou non ouvert au public, sous réserve que la configuration du monument ne permet pas l’ouverture au public ou que son propriétaire s’engage à l’ouvrir au public dans un délai de 3 ans.

Rappelons, en préambule, que 100 % des travaux subventionnés par la DRAC (nets de subvention) sont déjà déductibles des revenus sans avoir à proposer le monument correspondant à la visite et 50 % des travaux lorsque ceux-ci ne sont pas subventionnés. Une part essentielle du dispositif d’ensemble échappe par conséquent à l’obligation d’ouverture au public.
La proposition ci-dessus n’est par conséquent acceptable que strictement encadrée. La condition d’ouverture effective est, en effet, de notre point de vue, primordiale dans l’intérêt du public comme de l’attractivité locale. La condition d’ouverture dans les trois ans peut permettre au propriétaire d’équiper progressivement son monument pour son ouverture. Les 50 % d’avantage fiscal supplémentaires devront alors être remboursés par le propriétaire en cas d’absence d’ouverture au public au terme de ce délai. L’impossibilité d’ouverture au public doit être, pour sa part, insurmontable et constatée par la DRAC.

7. Présenter votre position relative à la réduction de 15 ans à 10 ans de la durée minimale de conservation d’un bien reconnu monument historique afin de bénéficier de la déduction précitée.

Cette disposition permet d’inciter à une conservation de longue durée des monuments historiques par leur propriétaire, la durée minimale pouvant d’ailleurs être continuée en cas de transmission à titre gratuit. C’est l’une des dispositions pouvant éviter qu’un monument ne soit considéré pour son seul statut de placement défiscalisé dans le cadre d’une vente à la découpe. La multiplication des changements de propriétaires n’est, en outre, pas favorable à la conservation du patrimoine par les transformations à répétition qu’elle induit.

8. Le critère d’accessibilité au public pour les monuments labellisés non visibles depuis la voie publique est entré en vigueur en 2023. Toutefois, l’immeuble est rendu accessible au public lorsqu’il satisfait les conditions déterminées par l’arrêté prévu par l’article 41 I de l’annexe III du CGI, soit les mêmes conditions que pour le dispositif de déduction du revenu global des monuments classés/inscrits, détaillées à l’article 17 ter de l’annexe 4 du CGI. Le critère d’accessibilité, censé être plus souple, se révèle donc aussi strict que celui de l’ouverture au public. Pourriez-vous commenter la mise en œuvre de ce critère d’accessibilité, et dresser des pistes d’amélioration afin de faciliter son recours par les propriétaires privés ?

L’application des conditions de déduction du revenu global des charges des monuments historiques aux bâtiments labellisés par la fondation du Patrimoine est contestable, puisque ceux-ci ont, par hypothèse, un intérêt patrimonial moindre, la déduction fiscale étant en outre généralement plafonnée à 50 % du montant des travaux. L’aménagement d’un accès aux extérieurs sans visite (ouverture d’un chemin privé par exemple) pourrait être une contrepartie suffisante à cet avantage fiscal réduit. Ces bâtiments labellisés ont en effet essentiellement vocation à participer à l’agrément du paysage.
Il pourrait cependant être imaginé que la déductibilité à 100 % récompense l’ouverture au public, dans les mêmes conditions que les monuments historiques, d’extérieurs ou d’intérieurs dont la restauration pourrait être jugée digne d’une labellisation (seule la restauration des extérieurs bénéficie aujourd’hui des aides de la fondation du patrimoine).

9. La mission conjointe IGF/IGAC relative à la modernisation de la notion fiscale d’ouverture au public pour les propriétaires privés de monuments de 2020 préconisait « une prise en compte, pour au moins 25 jours, de modalités particulières d’ouverture telles que les visites sur réservation, les visites éducatives, les spectacles et les événements ouverts au public, ainsi que les activités commerciales dans une limite de 10 jours par an sans autoriser les événements privés de type mariages ou séminaires ». Pourriez-vous commenter cette proposition ?

Sites & Monuments est attachée à une ouverture au public faite en tant que telle. L’association est ainsi opposée à la comptabilisation comme jours d’ouverture au public de privatisations (activité d’hébergement payante, mariages et séminaires) ou d’évènements commerciaux, même dans une limite de 10 jours par an. Il s’agit en effet d’activités économiques distinctes des visites à vocation patrimoniale, qui seules peuvent être des contreparties de l’avantage fiscal. De même, les spectacles doivent être des accessoires de la visite du monument - dans un but pédagogique ou artistique - et non se substituer à elle.
La prise en compte des visites sur réservation ou des visites éducatives ne pose pas de problème de principe mais soulève des questions pratiques. A partir de combien de visiteurs une visite sur réservation est-elle l’équivalent d’un jour d’ouverture à guichet ouvert ?

10. Les régimes existants d’accessibilité au public des monuments historiques détenus par les personnes privés (IR, mécénat, DMTG), vous paraissent-ils satisfaisants ? Quelles évolutions envisageriez-vous ?

Nous sommes en désaccord avec les conceptions qui sous-tendent la recommandation n°5 de la mission conjointe IGF/IGAC de 2020 relative à la modernisation de la notion fiscale d’ouverture au public (chap. 3.2.1.1., p. 34-36).
En effet, si les conditions d’ouverture au public sont différentes selon les textes (label de la fondation du patrimoine, dispositif d’accès au mécénat, défiscalisation pour travaux, droits de mutation à titre gratuit), aligner vers le bas la notion d’ouverture au public n’est pas satisfaisant. Pouvoir accéder aux intérieurs d’un monument (communs, écurie, pigeonnier, chapelle, cage d’escalier ou salon en rez-de-chaussée) n’est pas la même chose que la visite extérieure du même monument, en particulier depuis la voie publique. Cette vision restrictive de l’ouverture au public aurait des conséquences sur l’accès à un patrimoine national et, partant, sur l’attractivité des territoires et l’économie locale (taxi, salon de thé, restaurants, gites, etc).
Comme le rappellent les rapporteurs, « Pour bénéficier de la possibilité de déduire à 100 % au lieu de 50 % les dépenses d’entretien ou de réparation non subventionnées et les dépenses de gestion, les monuments concernés doivent être ouverts au public, quand bien même cette ouverture ne donnerait aucun accès aux parties protégées. » Il y aurait alors, selon eux, « une forme de distorsion entre l’esprit du dispositif (rendre accessible au public les éléments de patrimoine faisant l’objet d’un effort fiscal collectif) et la contrainte supplémentaire imposée au propriétaire sur le reste de son bien. » (chap. 3.2.1.1., p. 34-36).
Ceci est doublement contestable puisqu’en application d’une réponse ministérielle intégrée à la doctrine fiscale (réponse ministérielle Klifa n° 44314 ; BOI-RFPI-SPEC-30-20-10 n° 80), si le classement, bien que partiel, vise la protection de « l’ensemble architectural », les dépenses relatives aux parties non protégées de l’immeuble bénéficient du même régime de déduction fiscale, lorsque celui-ci est destiné à être loué. Ainsi, la jurisprudence admet généralement qu’un classement des « façades et toitures » doit être regardé comme visant la protection de « l’ensemble architectural ».
Par ailleurs et surtout, les protections morcelées résultent de pratiques administratives révolues. La protection de l’enveloppe d’un monument, forme de façadisme patrimonial, n’a en effet que peu de sens. Les protections de ce type sont d’ailleurs aujourd’hui très généralement revues dans un sens extensif (bâtiment classé en totalité ou protégé pour ses façades et toitures avec des éléments intérieurs). Ainsi, le fait pour un intérieur d’immeuble, dont les façades et toitures sont protégées, de ne pas bénéficier de protection ne signifie nullement qu’il « ne présente aucun intérêt » (CE 6 nov. 2009, Consorts Dor de Lastours, cf. rapport IGF/IGAC, chap. 3.2.1.1., p. 35). Ses intérieurs forment en effet, avec l’enveloppe protégée, un même ensemble patrimonial.
Les conditions de déductibilité des dépenses d’entretien et de réparation dans le cadre de la détermination de l’IR doivent ainsi être maintenues. Elles doivent même être étendues aux dispositifs d’accès au mécénat et à l’exonération des DMTG (et non l’inverse), en prévoyant une ouverture au public qui ne saurait être réduite à une visibilité depuis la voie publique. La question de l’application d’une ouverture au public extensive aux bâtiments labellisés par la fondation du Patrimoine est en revanche contestable, puisque ceux-ci sont d’un intérêt patrimonial moindre, la déduction fiscale étant, qui plus est, généralement plafonnée à 50 % du montant des travaux. Une simple visibilité depuis la voie publique ou un chemin privé pourrait être, dans ce cas, une contrepartie suffisante à l’avantage fiscal.

11. L’article 795 A du CGI prévoit une exonération des DMTG des monuments historiques classés ou inscrits et des parts de SCI familiales détenant des biens de cette nature. Présenter votre appréciation de ce dispositif du point de vue de vos adhérents. Commenter la piste d’évolution proposée par le ministère de la culture portant création d’une durée minimale de la convention de 22 ans. La dénonciation éventuelle de la convention donnerait lieu, à partir de 15 ans, à une réduction progressive des DMTG avec un abattement de 10 % par année écoulée.

Les intérêts de retard en cas de rupture de la convention, d’abord exigibles à compter de sa signature, ont été à juste titre neutralisés. Son respect prolongé rendait en effet d’autant plus pénalisant sa rupture, ce qui dissuadait de s’engager dans le dispositif d’exonération conditionnelle.
Aujourd’hui, comme le précise le Bulletin officiel des finances publiques, « Le point de départ du calcul de l’intérêt de retard est le premier jour du mois suivant celui au cours duquel la convention a pris fin, quelle que soit la date de conclusion de la convention (CGI, art.1727, IV-8). » (BOI-ENR-DMTG-10-20-30-60).
L’écoulement du temps n’est, par conséquent, nullement pénalisant, ce que confirme le même Bulletin, concernant les droits eux-mêmes, qui ne sont pas cumulatifs, mais s’éteignent à la mort du signataire de la convention : « l’exonération dont a bénéficié un héritier, donataire ou légataire unique ne sera pas remise en cause à la suite de son propre décès, même si ses ayants droit, renonçant à l’exonération dont ils pourraient eux-mêmes bénéficier, n’adhèrent pas à la convention. » (BOI-ENR-DMTG-10-20-30-60).
La nouvelle réforme envisagée pourrait être interprétée comme une incitation à la vente du monument et de son contenu à l’issue de 25 ans, avec des DMTG nuls. L’impôt serait alors éteint, avec comme contrepartie pour la collectivité une période de 25 années de conservation et d’ouverture au public du monument et de son contenu. Cependant, l’extinction des DMTG au bout de 25 ans ne doit pas être très différente de la conservation et de l’ouverture « à vie » imposée par le texte actuel. Ainsi, un héritage recueilli à 55 ans, suivi du décès de l’héritier à 80 ans, revient à cette même durée de conservation de 25 ans. La réforme proposée permet, en revanche, de valoriser graduellement le temps écoulé en cas de rupture de la convention avant la mort de son signataire (ce qui n’était pas le cas auparavant).
Cet avantage complémentaire impose une définition plus exigence de l’ouverture au public que celle établie par l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 nov. 2009, n°312515, Ministère du Budget c/ Consorts Dor de Lastours (cf. rapport IGF/IGAC, 2020, chap. 3.2.1.1., p. 35).
Comme le précise le Bulletin officiel des finances publiques, « l’exonération peut être [aujourd’hui] accordée aux immeubles pour lesquels il n’est pas prévu de modalités d’accès au public, lorsque les parties protégées sont extérieures (façades, toitures) et sont intégralement visibles depuis une voie publique ou un autre espace librement accessible au public tel qu’un parc. » Dans ce cas, la convention « doit, en particulier, prévoir les engagements des ayants droit relatifs aux modalités d’entretien des biens et à l’information du public » (BOI-ENR-DMTG-10-20-30-60).
La contrepartie d’une visibilité extérieure est insuffisante, en particulier lorsque l’immeuble l’est depuis la voie publique (ce qui créé une inégalité entre monuments en fonction de leur situation). La contrepartie pour le public serait alors limitée à un entretien régulier (qui nous semble découler du statut de monument historique lui-même), tandis que l’information du public pourrait résulter d’un simple panneau visible depuis la voie publique... C’est pourquoi il nous semblerait normal, vu les avantages consentis, d’aligner les conditions d’ouverture au public de l’exonération des DMTG sur celles propres à déduction des travaux du revenu global (IR). Une visite d’éléments extérieurs et intérieurs, même non couverts par la protection, serait ainsi nécessaire à la satisfaction de la condition d’ouverture au public. Il est d’ailleurs de l’esprit de l’exonération des DMTG - même si cela n’est pas obligatoire - que de comprendre des éléments mobiliers, par hypothèse présentés dans les intérieurs.
Il va en effet de soi qu’un monument simplement visible depuis la voie publique ne suscitera pas de vocation touristique, situation qui ne sera pas très sensiblement améliorée par la possibilité d’une visite extérieure. L’ouverture d’éléments intérieurs change en revanche la donne et n’est pas nécessairement plus lourde pour les propriétaires que de donner accès aux façades d’un édifice protégé par un cheminement dans un parc privé (cas d’ouverture au public d’un pigeonnier, d’une écurie, d’une chapelle, d’une cage d’escalier, voire même d’un salon).

Questions relatives aux dépenses fiscales concernant le patrimoine artistique mobilier

12. L’article 46 AZB du CGI précise les modalités d’application du 2° du II de l’article 199 duovicies du CGI. La condition d’exposition au public peut ainsi être satisfaite si l’objet est confié, en vue de son exposition au public à certaines catégories de personnes publiques (musées de France, bibliothèques etc.) mais également à des personnes privées conventionnées occupant le domaine public maritime, fluvial, ferroviaire ou aéronautique. Certains de vos adhérents ont-ils déjà eu recours à ce dispositif ?

Il convient naturellement de privilégier une exposition des meubles classés au titre des monuments historiques au sein du monument dont ils partagent l’histoire. A défaut, une exposition périodique dans une institution publique, si possible de proximité, nous semble tout à fait satisfaisante.
Nous proposons d’ailleurs un dispositif similaire dans le cadre de la valorisation fiscale - pour l’heure inexistante - de la moins-value occasionnée par un classement au titre des monuments historiques comme meuble isolé, comme ensemble mobilier ou comme meuble attaché à perpétuelle demeure.

Nous proposons ainsi de transposer au classement des monuments historiques meubles la fiscalité propre à l’enrichissement des musées. Cette mesure vise à compenser fiscalement la moins-value occasionnée pour les propriétaires par un classement au titre des monuments historiques, privant les œuvres qui en font l’objet de mobilité internationale (classement simple ou comme ensemble mobilier avec perte de valeur de 40 à 60 %) ou de toute mobilité (classement avec servitude de maintien in situ avec perte de valeur de 80 %). La mise en place d’une « dation », d’une « donation » et d’un « mécénat de servitude » serait de nature à compenser ces différentes dépréciations (à hauteur de 100 %, de 66% ou de 90% de son montant en fonction de l’instrument fiscal retenu) et à inciter les propriétaires à consentir aux classements (propositions reprises par le Livre Blanc du patrimoine).
Cet avantage fiscal serait assorti d’une servitude de mise à disposition périodique du public des meubles en faisant l’objet. L’Etat pourrait ainsi obtenir périodiquement, à ses frais et risques, le dépôt de l’œuvre dans un musée de France, lorsque celle-ci n’est pas présentée au public dans un cadre monumental par son propriétaire. Il permet ainsi d’unir les logiques contextuelles et muséales de conservation du patrimoine mobilier.
Ce dispositif serait également appliqué en cas d’indemnisation d’un classement mobilier fait d’office (le Jardin à Auvers de Vincent Van Gogh, dont la protection au titre des monuments historiques a été fortement indemnisée par l’Etat, serait ainsi périodiquement exposé au public au musée d’Orsay).
Voir : COMMENT DYNAMISER LES TERRITOIRES PAR L’OUVERTURE AU PUBLIC DE MONUMENTS ATTRACTIFS ?

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments - SPPEF