LOI ACCÉLÉRATION DES ENR - Amendements 10 km et 40 km : protégeons notre patrimoine monumental et littoral des éoliennes

Le projet de loi d’accélération des ENR, nouvelle régression majeure des droits des citoyens dans la protection de leur environnement et triomphe du lobby des énergéticiens "verts", comporte une maigre avancée pour le patrimoine : les projets éoliens établis dans un rayon de 10 km des Monuments historiques et des Sites patrimoniaux remarquables (SPR) seraient soumis, en cas de lien visuel avéré, à autorisation préalable des architectes des bâtiments de France (ABF). Cette mesure menace d’être supprimée du texte par des amendements de députés.

Par ailleurs, l’introduction d’une distance de principe de 40 km des côtes pour l’éolien offshore, mesure adoptée par le Sénat en commission mais rejetée en séance, fait son retour devant l’Assemblée.

L’amendement 10 km des monuments historiques

Tweet de France Energie Eolienne (FEE) prétendant que "la construction des éolienne serait interdite à moins de 10 km des monuments historiques" en application de la disposition votée par le Sénat.

Le principe d’un avis conforme de l’ABF dans les 10 kilomètres d’un monument historique a déjà été voté en 2016 par le Sénat sur une suggestion de notre association. Cette avancée menace, une fois de plus, d’être retirée du projet de loi sur l’accélération des ENR à l’Assemblée Nationale sous la pression du lobby éolien. La pratique très vertueuse du "sourcing" (raison d’être de la rubrique "lobbying" de ce site) permet de savoir que trois parmi eux ont été rédigés par le "Syndicat des énergies renouvelables" (SER), comportant 144 adhérents liés à la filière éolienne (cabinets de conseil, industriels, constructeurs ou exploitants d’éoliennes, banquiers et avocats spécialisés...) Ces amendements de suppression identiques ont été endossés par les groupes Renaissance (LREM) (voir ici) et Ecologistes (ici), montrant une intéressante convergence du business et de l’idéologie. Un amendement rédigé par "EDF Hydro" a également été conçu pour une députée Renaissance (LREM).

Trois autres amendements de suppression identiques, non sourcés, déposés par d’autres députés Renaissance (LREM), Horizon et MODEM, prétendent que "le développement des parcs éoliens est déjà encadré par une réglementation stricte et précise, notamment avec le périmètre de 500 mètres", ce qui est inexact et incohérent, les mêmes députés Renaissance proposant de rendre non contraignant l’avis des ABF en matière d’éoliennes au sein même des 500 mètres protégeant les monuments historiques (voir CD938 ou CD1056) !

Ces amendements véhiculent une nouvelle fois l’idée fausse selon laquelle les éoliennes seraient "interdites" à 10 km à la ronde autour des monuments historiques, ce qui est aussi inexact que de prétendre qu’il est impossible de construire dans un rayon de 500 m d’un monument historique. En effet :
 Il faut un lien visuel entre le monument et l’éolienne pour que l’avis conforme soit requis (les 10 km ne suffisent pas) ;
 Il ne s’agit PAS d’une interdiction à 10 km à la ronde, mais de la possibilité pour l’ABF d’y négocier l’emplacement et la hauteur des machines ;
 Le périmètre peut, au demeurant, être limité aux perspectives les plus sensibles, notamment à la demande des maires ;
 Les avis négatifs des ABF rendus dans ces périmètres peuvent être soumis par le pétitionnaire à l’arbitrage du préfet de Région.

Exemple d’abords des 500 m (cercle en pointillés où la construction n’est nullement empêchée) convertis en zone délimitée des abords (en rouge). Cette zone, où l’ABF est désormais compétent sans avoir à démontrer un lien visuel avec le monument, n’empêche pas plus la construction. Commune de Liffré (Ille-et-Vilaine)

Afin de répondre à ces nombreux amendements de suppression, Sites & Monuments propose un amendement de précision répondant à la désinformation du lobby éolien. Nous en reproduisons l’exposé des motifs :

"Il s’agit d’introduire de la souplesse dans le dispositif voulu par le Sénat en permettant une redélimitation du périmètre de dix kilomètres afin de l’ajuster aux seules zones utiles (perspective monumentale ou vue particulièrement remarquable), tout en réaffirmant, concernant les autorisations délivrées en son sein, la possibilité pour l’autorité d’urbanisme ou le demandeur d’exercer un recours hiérarchique auprès du préfet de Région, qui arbitrera entre les impératifs de la protection du patrimoine et les autres politiques publiques. Une erreur de renvoi est en outre rectifiée.

Les périmètres de protection des monuments historiques, délimitant une zone de 500 mètres de rayon soumise à autorisation préalable de l’architecte des Bâtiments de France (ABF), ont été créés par une loi du 25 février 1943. À cette date, il n’était nullement question de construire des structures comparables aux éoliennes qui se caractérisent autant par leur grande hauteur - pouvant dépasser aujourd’hui les 240 mètres (la Tour Montparnasse mesure 210 mètres) - que par leur simplicité d’édification. La loi doit, par conséquent, évoluer pour s’adapter à ces données nouvelles.

La possibilité d’accroitre le périmètre de protection d’un monument historique - qui existe depuis 2000 dans notre droit - est ici inappropriée, car chaque construction située dans cette zone serait soumise au contrôle de l’ABF, ce qui irait au-delà du but recherché et engorgerait les services de l’État. Un périmètre spécifiquement dédié aux éoliennes est par conséquent indiqué.

La jurisprudence prend en considération des éoliennes situées à plus de 10 kilomètres des monuments protégés, tandis qu’une circulaire n° 2008/007 de la ministre de la Culture du 15 septembre 2008 recommande une distance d’implantation des aérogénérateurs « pouvant aller jusqu’à 10 km, ou plus, lorsque la protection des cônes de vues remarquables le justifiera ». Cette distance est d’autant plus légitime que la hauteur de ces installations n’a cessé de croître, passant, en quelques années, de 130 à plus de 240 mètres de hauteur. Or, une éolienne est visible, sur un terrain plat, à plus de 30 kilomètres et sa perception dans le paysage est accentuée par les mouvements de ses pâles et un clignotement ininterrompu.

L’avis conforme de l’ABF ne sera cependant requis qu’en cas de visibilité des installations depuis le monument protégé ou en même temps que lui (covisibilité). L’ABF ne peut par conséquent contrôler l’édification de ces machines dans l’ensemble du périmètre. En cas de lien visuel avéré, il pourra prescrire l’installation d’aérogénérateurs de moindre hauteur ou la modification de leur implantation en vertu de l’article L. 621-32 al. 2 du code du patrimoine.

Prétendre qu’il sera presque inenvisageable d’édifier des éoliennes dans un rayon de 10 km des monuments historiques est aussi inexact que d’affirmer qu’il est impossible de construire dans les principales villes, bourgs ou villages français, généralement couverts quasi intégralement par un ou des périmètres de protection de monuments historiques de 500 m de rayon.

L’avis conforme de l’ABF au sein des périmètres éoliens sera, au demeurant, soumis à un recours hiérarchique dans les conditions de l’article L. 632-2 du code du patrimoine devant le préfet de Région - apte à départager des intérêts publics divergents - et, en cas de confirmation, à recours contentieux du pétitionnaire.

Le périmètre des dix kilomètres cessera, en outre, d’être applicable en cas de redélimitation de la zone, notamment à la demande d’un conseil municipal, en vertu de l’article L. 621-31 du code du patrimoine. Ainsi, il sera possible de préciser le tracé de la zone de dix kilomètres, en l’ajustant à ses seules parties utiles (cônes de vues remarquables), ou en l’étendant très ponctuellement. Il sera alors intégré au document d’urbanisme, une mutualisation des enquêtes publiques étant possible (article L. 621-31 al. 3 du même code). Dans le cas d’un périmètre ainsi redélimité, la condition de visibilité ou de covisibilité n’a plus lieu d’être, ce qui est facteur de simplification pour les pétitionnaires, mais ne signifie nullement l’interdiction de tout projet en leur sein.

Les dispositifs de planification introduits dans notre droit ne peuvent se substituer à ce périmètre élargi puisqu’ils sont imprécis et non opposables juridiquement, tandis que les éventuels dispositifs d’urbanisme sont à la main des seules collectivités et donc non pérennes, hors servitude d’utilité publique proposée."

Signalons que des amendements du Rassemblement National demandent l’accroissement de la distance de 10 km à 20 km, d’étendre la protection ainsi reconnue aux biens classés au titre de l’UNESCO, ou la création d’un avis conforme du comité national de la biodiversité (CNB).

L’amendement 40 km du rivage

Notre association a proposé, devant le Sénat et aujourd’hui devant l’Assemblée Nationale, avec un collectif d’associations de l’île d’Yeu, de Noirmoutier, Belle-Ile, Quiberon ou Dunkerque, d’éloigner les parcs éoliens à 40 km des côtes, soit 21,6 milles nautiques (alors que la ligne d’horizon se situe à 50 km, soit 27 milles nautiques), ce qui ne ferait qu’aligner la pratique française sur celles des autres pays européens, où la distance moyenne des parcs éoliens offshore à la côte est de 41 km.

Carte européenne des zones de développement de l’éolien en mer, avec une distance moyenne des parcs éoliens offshore à la côte de 41 km. Toise de 200 km (en bas à droite). Source 4 C Offshore.

Cette disposition a été votée une première fois au Sénat en commission (VI) avant d’être finalement rejetée à la demande du Gouvernement.

Pourtant, un tel éloignement n’impacterait plus les artisans-pêcheurs qui pratiquent une pêche responsable et durable, à la journée, dans la bande côtière. L’introduction d’une distance minimale est par ailleurs recommandée tant par le Conseil national de protection de la nature (CNPN) que par la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages (CSSPP) dans leurs avis émis en 2021. Ces avis sont motivés par un impératif de protection de la biodiversité, particulièrement riche dans la bande des 40 premiers kilomètres, et par la volonté de préserver le patrimoine paysager, qui est l’une des richesses du littoral français.

Zones d’implantation à privilégier pour l’éolien en mer selon le Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Autosaisine du CNPN sur le développement de l’énergie offshore en France et ses impacts sur la biodiversité, le patrimoine naturel et les paysages, juillet 2021, p. 8.

Dans son autosaisine, le CNPN a reproduit (voir ci-dessus) une étude conciliant tous les enjeux anthropiques (militaires, aviation, navigation commerciale, pêche, aquaculture...) en excluant les projets d’offshore en zones protégées. Cette étude propose des sites d’éolien flottant éloignés des côtes représentant une puissance installée considérable, qui selon leurs auteurs, serait parfaitement réalisable uniquement en flottant. Parmi les plus grands projets en Europe du Nord, nous pouvons par exemple citer celui de parc éolien offshore flottant de MarramWind (3 GW), situé à 75 kilomètres au large de la côte nord-est de l’Écosse, à des profondeurs d’eau moyennes de 100 mètres.

Ceci contredit les propos de la ministre de la Transition énergétique, considérant que la « technologie flottante, bien que prometteuse, n’est actuellement pas mature », technologie que la ministre entend pourtant mettre en œuvre à 20 km des côtes de Belle-Île, ce qui est particulièrement absurde. En effet, si le consortium mené par Shell a jeté l’éponge pour le projet pilote de trois éoliennes au large de la Bretagne Sud, l’appel d’offre industriel pour un parc de 60 éoliennes flottantes suit en effet son cours.

De nombreux amendements de commission émanant du groupe Les Républicains (CD73, CD99, CD268, CD547, CD548) ou Libertés Indépendants, Outre-mer et Territoires (CD925) ont entendu les associations et proposent de réintroduire une distance de principe de 40 km des côtes (soit 21,6 milles nautiques) pour l’éolien en mer, en "tenant compte des contraintes techniques et technologiques".

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

MISE A JOUR

Le vote par le Sénat d’un avis conforme des ABF sur les éoliennes situées dans un rayon de 10 km des monuments historiques a été attaqué par des amendements du groupe Renaissance (LREM) et de ses alliés (voir notamment ici, ici, ici, ici ou ici) et un amendement du groupe Écologiste (ici), tous votés en commission du Développement durable.

Ces amendements de suppression, présentés devant la commission des Affaires économiques saisie au fond par le rapporteur pour avis de la commission du Développement durable, ont malheureusement été validés (voir ici).

L’exposé des motifs de cet amendement de synthèse, que nous reproduisons ci-dessous, est signé par le Syndicat des Energies Renouvelables, l’un des principaux lobbys éoliens :
"L’article 1er CA prévoit que les projets de parcs éoliens terrestre soient soumis à l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France (ABF) lorsqu’ils entrent dans le champ de visibilité, soit d’un monument historique, soit d’un site patrimonial remarquable, et situés dans un périmètre de 10 kilomètres autour de celui-ci.
Du fait du très grand nombre de monuments historiques (plus de 46 000 immeubles sont classés au titre des monuments historiques) et de sites patrimoniaux remarquables (plus de 940 sur le territoire) répartis sur l’ensemble du territoire, cette mesure expose la quasi-intégralité du gisement éolien national à l’avis conforme des ABF et risque de paralyser tout développement de l’éolien terrestre. En Bretagne par exemple, l’ensemble de la région serait soumise à l’avis conforme des architectes bâtiment de France.
Cet amendement a été travaillé avec le SER.
"

Par ailleurs, aucun des nombreux amendements ayant pour objet d’introduire une distance de principe du rivage pour l’éolien en mer, proposés en commission du développement durable par les groupes Les Républicains (CD73, CD99, CD268, CD547, CD548) ou Libertés Indépendants, Outre-mer et Territoires (CD925), n’ont été votés. Cette mesure ne figurera donc pas dans le texte proposé en séance.

Ces deux dispositions seront-elles réintroduites et votées sous la forme d’un amendement en séance ?

Proposition d’amendement de séance avis des 10 km MH

JL